En parcourant la presse de ce jour, notre placidité s’est presque évaporée: le phénomène de l’émigration clandestine s’amplifie. Et un élu local est même interpellé comme élément du puzzle, de ce drame. Cela est mon prétexte pour convoquer, à nouveau, une dissertation à plusieurs détentes.
J’avoue que l’équation est simple dans son énoncé mais la résolution difficile !
Au moment où j’écris ces lignes, partout sur le continent africain, on constate que l’emploi des jeunes constitue une préoccupation majeure dont la prise en charge tarde à être effective et couronnée de succès. C’est pourquoi nos jeunes voient leur avenir ailleurs qu’en Afrique .
Ils affrontent la mer dans l’espoir de rejoindre l’autre rive considérée comme des « pâturages verts » (greener pastures ».
Oui, au moment où j’écris ces lignes, les déclarations d’intentions se multiplient, les engagements des autorités africaines sont récurrentes, des opérations s’enchainent.
Toutefois, en lieu et place d’un recul ou d’une disparition du phénomène, on constate l’aggravation du phénomène en Afrique.
Certains, d’ailleurs, considèrent que le chômage des jeunes est une bombe à retardement !
Dans la recherche d’idées novatrices, il est important de se pencher davantage sur une véritable étiologie. Sous ce rapport, je pense qu’on ne saurait ignorer quelques éléments de bornage de notre problématique. Je citerai, entre autres, ceux-ci:
#- mauvaise calibrage du rôle des Etats africains. Très souvent, il y a confusion des rôles car les Etats africains s’engagent à donner du travail aux jeunes en occultant que nous sommes dans une économie libéralisée et co-gérée. En fait, nos Etats doivent comprendre que leur mission est de créer un environnement propice à l’émergence d’iniatives privées .
#- Les pourvoyeurs d’emplois publics et privés manifestent des signes de saturation. Les hommes de ma génération avaient comme ambition majeure de faire de brillantes études pour devenir de hauts fonctionnaires, des cadres d’élite dans le secteur privé ou des experts internationaux. En clair, être un porteur de projet de création d’une entreprise était rarement sur notre ligne de mire.
Les temps ont bien changé !
#- le statut de fonctionnaire ou d’agent n’est plus donné par la simple présentation d’un diplôme. Effectivement, la compétition pour obtenir un emploi est de plus en plus âpre. Car la fonction publique n’est plus en mesure de recevoir les nombreux diplômés formés. D’ailleurs, dans beaucoup de pays africains, on ne recrute plus ou on tente d’inciter des personnes à un départ volontaire;
#- le secteur privé africain se cherche. Il est, quant à lui, frappé par une conjoncture nationale et internationale des plus difficiles. Par conséquent, il n’est pas toujours dans une logique de recrutements massifs;
# les institutions internationales se barricadent, l’accès devient de plus en plus difficile. Pour les postes disponibles, on doit faire face à des appels à candidature pour obtenir un ticket d’entrée. Ce qui est loin d’être un exercice facile.
#- l’école est en déconnexion avec les évolutions de nos sociétés contemporaines. Elle devrait nous donner des matériaux mais aussi développer, en nous, le goût du risque avec comme armes notre conviction et notre connaissance. Sur ce chapitre précis, la formation francophone a des pas de geants à faire, en comparaison à celle dite anglophone.
Alors, nos jeunes nous abandonnent pour un voyage à la recherche d’opportunités imaginaires. Ils meurent en mer ou arrivent à destination pour passer la nuit dans des gares ou camps, se livrer à la mendicité ou au commerce de la drogue. Cette situation nous brise le cœur et interpelle tous les segments de la société. Il n’est, d’ailleurs, pas exagéré de dire que l’emploi des jeunes est, à travers le monde, une équation redoutable dont la non résolution nous expose à une instabilité sociétale grave, une véritable bombe à retardement.
Les africains doivent comprendre et accepter qu’aucun pays du Nord n’est en situation de plein emploi.
Oui, un destin n’est pas échangeable, on l’assume soi-même ou on opte pour une défaite anticipée.
Je fais partie de ceux qui pensent que le secteur agricole est une des voies à considérer pour transformer l’exode rural en exode urbain et l’immigration clandestine en choix irrationnel.
Sous ce rapport, ma première couche de peinture a déjà identifié, entre autres, 11axes susceptibles de massifier l’emploi agricole des jeunes:
1) facilitation des conditions d’accès à la terre aux jeunes, grâce à une réforme foncière consensuelle;
2) instauration de lignes de crédit à des taux préférentiels pour des prêts à long et moyen terme. On ne peut développer une agriculture avec des crédits de campagne qui ne permettent pas des investissements lourds.
3) octroi d’un quota significatif aux jeunes pour les facteurs de production subventionnés par l’Etat en vue de doper leur compétitivité et favoriser une diversification agricole, un des facteurs de lutte contre le risque;
4) renforcement de leurs capacités techniques, économiques et managériales en vue d’une gestion rationnele d’exploitations agricoles reposant sur la formation, l’information, la quête de compétitivité-coût, de compétitivité-prix, de compétitivité-qualité et de compétitivité-technologique. Le tout doit, bien évidemment, être assorti d’une stratégie de durabilité raisonnée;
5) mise à leur disposition d’informations de marché pour mieux apprécier les enjeux en vue de produire plus et mieux;
6) initiation à l’élaboration de calendrier cultural conforme aux besoins des consommateurs locaux et du marché international. Ce que d’aucuns désignent sous le vocable de pilotage par l’aval;
7) veiller à une exploitation judicieuse des résultats de recherche pour garantir productivité et qualité mais aussi un étalement de la production et une durabilité des capacités productives des écosystèmes;
8) mettre en place des infrastructures de base (routes, pistes de production, marchés physiques, etc.) pour réduire les coûts de transactions, les pertes post-récolte et un meilleur accès au marché;
9) aider à la création d’un environnement permettant une numérisation de l’agriculture pour faciliter l’accès aux intrants agricoles et l’établissement de justes prix;
10) aider à la maîtrise de l’eau pour allonger les saisons de culture et minimiser le risque lié aux changements climatiques;
11) protéger les zones non aedificandi pour une préservation des ceintures vertes, source d’emplois, loin d’être marginale.
En réalité, il faut transformer les jeunes demandeurs d’emplois en porteurs de projets !
A l’heure où la souveraineté alimentaire est convoquée par tous, les jeunes sont un élément essentiel pour la concrétiser avec célérité, efficacité , efficience, inclusivité et durabilité
Le fatalisme renvoie à un suicide collectif et minimise le génie potentiel et créateur de l’homme.
Dr.Papa Abdoulaye Seck