Deux déclarations du DG d’Orange Afrique Moyen-Orient examinées par Africa Check : la première est sans preuve, la seconde est inexacte.

Dans un entretien à RFI et Jeune Afrique, Alioune Ndiaye s’est prononcé sur l’impact de Wave sur les emplois dans le marché des services financiers mobiles, et sur le taux de bancarisation en Afrique subsaharienne : la première déclaration est sans preuve, la seconde est incorrecte. (par Africa Check)

Invité début avril 2022 dans l’émission Éco d’Ici Éco d’Ailleurs diffusée sur Radio France Internationale en partenariat avec le magazine Jeune Afrique, le directeur général d’Orange Afrique et Moyen-OrientAlioune Ndiaye, a déclaré : « Avec Orange Money, Orange a créé des dizaines de milliers d’emplois grâce au réseau de distributeurs que nous avons développé pour amener nos services au plus près de nos clients. La moitié du chiffre d’affaires leur revenait. Wave leur a fait perdre 50 % de leurs revenus. Quelque 20 000 emplois ont été détruits au Sénégal ».

  1. Ndiaye a également affirmé au cours de la même émission que 80 % des personnes en Afrique subsaharienne n’ont pas de compte bancaire.

La direction de la communication d’Orange Afrique et Moyen-Orient a indiqué à Africa Check qu’Alioune Ndiaye s’est appuyé sur « des sources internes » en précisant : « nous les constatons dans nos reportings (communications de données, NDLR) vérifiables auprès de la BCEAO », la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest. Cette banque sert d’institution d’émission pour huit pays ouest-africains utilisant le franc CFA comme monnaie et regroupés au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, l’UEMOA.

Orange Afrique et Moyen-Orient souligne que la BCEAO reçoit son reporting hebdomadaire « ainsi que celui de Wave ». L’entreprise recommande de vérifier également auprès des acteurs du marché comme Africa Transaction Processing & Services (ATPS) ou encore Intouch.

Que disent ATPS et Intouch ?

ATPS est « une société́ de technologie spécialisée dans la fourniture de services financiers ». Elle affirme ne pas avoir été « impactée par cette situation (si elle est avérée) » et, par conséquent, ne pas être « en mesure de confirmer ou d’infirmer cette affirmation » du patron d’Orange Afrique et Moyen-Orient.

Intouch, « une fintech (société technologique) panafricaine spécialisée dans les solutions de paiement, l’agrégation de services digitaux et l’acquisition et la gestion de réseaux de distribution », déclare ne pas être en mesure de se prononcer sur le sujet.

Le Consortium pour la recherche économique et sociale (CRES), que nous avons contacté, dit ne pas être en mesure de confirmer ou d’infirmer une telle affirmation.

Habib Ndao, directeur exécutif de l’Observatoire de la qualité des services financiers (OQSF), explique que sa structure ne dispose pas pour l’instant de statistiques sur le nombre d’emplois perdus à cause de la concurrence qui prévaut dans le secteur des transferts.

Il révèle qu’un mémorandum du Cadre permanent de concertation des prestataires – qui regroupe les principaux acteurs du secteur – alerte que la situation concurrentielle entre les opérateurs Wave et Orange risque de compromettre la viabilité des prestataires pour un marché qui « emploierait près de 60 000 agents ».

La complainte des associations de prestataires du transfert d’argent

Le Réseau national des prestataires du transfert d’argent (Renapta) et l’Association sénégalaise des acteurs du transfert d’argent (Asata) sont les principales organisations du secteur et composent le Cadre permanent de concertation des prestataires avec la Fédération nationale des prestataires du transfert d’argent. (FNPTA Ñoo Lank).

Le Renapta et l’Asata indiquent à Africa Check que l’entrée de l’opérateur Wave a entraîné des pertes d’emploi et la perturbation de l’écosystème. Selon le Renapta, « le secteur a créé près de 50 000 emplois dans un environnement marqué par un chômage endémique. Aujourd’hui, la moitié est perdue ».

Comme preuve, le Réseau recommande de consulter le Rapport annuel de la BCEAO sur la situation de l’inclusion financière dans l’UEMOA au titre de l’année 2019. Ledit rapport, consulté par Africa Check, ne contient pas de données sur des emplois créés ou perdus dans le secteur.

Le mémorandum du Cadre permanent de concertation des prestataires de juin 2021 évoque « la situation invivable des prestataires du transfert d’argent au Sénégal ». Il impute cette situation « invivable » à la concurrence entre Wave et Orange Money qui constitue une « menace imminente et palpable de disparition » des points de vente de ses membres et pousse vers le chômage « au moins 60 000 jeunes ».

Que disent les données de la BCEAO ?

Africa Check a consulté les rapports 201720182019 et 2020 de la BCEAO portant sur les services financiers numériques dans l’UEMOA. L’année 2018 correspond à l’année de démarrage des activités de Wave au Sénégal.

Selon la Banque centrale, les rapports ne contiennent pas d’informations relatives aux emplois créés ou détruits mais présentent plutôt « l’évolution du réseau de distribution, construit autour de l’activité d’émission de monnaie électronique, notamment le nombre de points de services financiers via la téléphonie mobile ».

En 2018, le Sénégal disposait d’un nombre total de 121 565 points de services et de 54 638 points de services actifs. En 2017, avant l’arrivée de Wave, c’était un nombre total de 67 315 points de services pour 30 787 points de services actifs.

Un point de service actif est un distributeur ayant réalisé une opération au moins au cours des trois derniers mois, a expliqué la BCEAO.

En 2019 et en 2020, il y avait respectivement 86 623 et 76 359 points de services actifs.

(Note: le rapport 2021 de la BCEAO portant sur les services financiers numériques n’est pas encore disponible. Cet article sera actualisé dès que ledit rapport sera publié).

La direction de la communication d’Orange Afrique Moyen-Orient informe cite le rapport annuel sur la situation de l’inclusion financière dans l’UEMOA, publié en décembre 2021 par la BCEAO, comme étant la source de cette donnée.

Selon Orange, le rapport indique que « le taux de bancarisation strict (hors services financiers mobiles) est de 19,3 % en 2020. Ce qui confirme les 80 % des personnes ne disposant pas de compte bancaire ».

Ces indicateurs ne concernent que les huit pays de l’UEMOA

Le taux de bancarisation strict de 19,3 % émane effectivement du rapport de la BCEAO susmentionné. Cependant, il convient de préciser que cette donnée ne concerne que l’espace UEMOA, et ne porte donc pas sur toute l’Afrique subsaharienne.

Ce que confirme d’ailleurs le service communication de la BCEAO : « Le rapport sur la situation de l’inclusion financière dans l’UEMOA, élaboré par la BCEAO, retrace, entre autres aspects, l’évolution des indicateurs de suivi de l’inclusion financière dans les huit pays de l’UEMOA, à savoir, le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo ».

Par conséquent, précise la BCEAO, « ces indicateurs ne concernent pas l’Afrique subsaharienne dans sa globalité ».

(Note: La BCEAO définit le taux de bancarisation strict comme le pourcentage de la population adulte détenant un compte dans les banques, les services postaux, les caisses nationales d’épargne et le Trésor. Quant au taux de bancarisation élargi, il s’agit du taux de bancarisation strict auquel on ajoute le pourcentage des détenteurs de comptes dans les institutions de microfinance).

Combien de personnes sans comptes bancaires en Afrique subsaharienne ?

Contacté par Africa Check, le Fonds monétaire international (FMI) indique que l’affirmation selon laquelle « 80 % des personnes en Afrique subsaharienne n’ont pas de compte bancaire » se retrouve dans un rapport de la Financial Access Initiative (FAI) datant de 2009.

La FAI est un centre de recherche de l’école d’administration publique Robert F. Wagner Graduate School of Public Service, une des écoles de l’Université de New York (privée). De ce fait, le FMI a soutenu ne pas pouvoir commenter cette donnée, qui n’a pas été obtenue directement auprès de son équipe chargée de collecter ces renseignements dans le cadre d’enquêtes spécifiques (les Financial Access Surveys, FAS).

Les données concernées par cette collecte sont notamment le nombre de comptes, d’emprunteurs, de déposants auprès des banques commerciales, des coopératives de crédit et les institutions de microfinance.

Nous avons contacté Jonathan Murdoch, directeur exécutif et co-fondateur de la Financial Access Initiative, qui a reconnu que la donnée est obsolète et nous a recommandé de consulter le rapport Findex 2017 de la Banque mondiale qui, selon lui, est le plus récent et devrait contenir des données plus fiables.

Findex (ou Global Findex) a été lancée en 2011 et est « la base de données la plus complète au monde sur la manière dont les adultes épargnent, empruntent, effectuent des paiements et gèrent les risques ».

L’édition 2017, qui est la dernière en date, comporte les données les plus récentes sur les services bancaires selon Dorothe Singer, économiste senior à la Banque mondiale et une des auteures du rapport.

En plus de contenir des indicateurs actualisés sur l’accès et l’utilisation des services financiers formels et informels, l’étude ajoute de nouvelles données sur l’utilisation des technologies financières (fintech), notamment l’utilisation des téléphones mobiles et d’Internet pour effectuer des transactions financières.

Que disent les données de la Banque mondiale ?

Saniya Ansar, analyste de recherche au sein du Groupe de recherche sur le développement à la Banque mondiale, indique qu’en 2017, 33 % des adultes en Afrique subsaharienne avaient un compte dans une banque ou une institution financière.

Cette statistique provient d’un document de la Banque mondiale publié en mars 2019 et qui, selon l’institution financière, est un condensé « des données compilées par Global Findex à partir d’enquêtes nationales représentatives au niveau national auprès de plus de 150 000 adultes dans plus de 140 économies en 2017, dont plus de 35 000 adultes dans 35 économies en Afrique subsaharienne ».

Saniya Ansar ajoute que :

 43 % des adultes ont un compte dans une banque ou chez un fournisseur de services d’argent mobile, contre 34 % en 2014, selon la base de données Global Findex ;

21 % ont un compte chez un fournisseur de services d’argent mobile ;

22 % ont un compte dans une banque ou une institution financière uniquement ;

10 % ont un compte auprès d’un fournisseur d’argent mobile uniquement ;

11 % ont les deux : un compte dans une banque et auprès d’un fournisseur de services de d’argent mobile.

(Note : le nouveau rapport Global Findex – celui portant sur 2021 – a été rendu public ce mercredi 29 juin 2021, juste après la publication de cet article. Selon ledit rapport 55 % des adultes en Afrique subsaharienne disposent d’un compte dans une banque, une institution financière ou auprès d’un fournisseur de services d’argent mobile).

Oumou Khaïry NDIAYE
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