De l’urgence de revoir le fonctionnement de la Cedeao

Pour des raisons normatives et prudentielles, on peut qualifier les sanctions contre Bamako de raisonnables. Pour autant, les responsables politiques de la sous-région ne doivent pas se cantonner à des discussions sur la durée des transitions. Parallèlement à cette question technique, il est important qu’ils se projettent dans l’avenir en réinterrogeant la capacité politique et institutionnelle de la Cedeao à prévenir les coups d’État et à répondre aux aspirations démocratiques des populations

Car ce dont témoigne la situation malienne, c’est l’extrême difficulté, pour l’organisation sous-régionale, à assumer son rôle de promoteur de la bonne gouvernance et de l’État de droit dans une région fragilisée par la persistance de violences liées au contrôle et au partage du pouvoir politique, aux inégalités et aux injustices socioéconomiques. En faisant de la tenue rapide d’élections la priorité des transitions, on risque de passer outre les problèmes de fond qui touchent à la gouvernance politique, à l’organisation des pouvoirs publics, à la légitimité démocratique des États et, surtout, à la demande criante de justice et d’égalité formulée par les populations.

Une véritable rupture Ainsi, au-delà des positions de principe, il est urgent d’effectuer une critique objective du fonctionnement de la Cedeao. En effet, la résurgence des coups d’État et la répétition des transitions doivent résonner comme une preuve de l’échec des acteurs et décideurs politiques à gérer efficacement l’institution.

La nécessité d’une autocritique est dictée avant tout par la manière dont les populations perçoivent la transition et sa durée. Qu’il s’agisse du Mali ou de la Guinée, la lecture de la presse montre que les populations attendent de la transition qu’elle soit une véritable rupture avec les situations antérieures jugées injustes. Bien qu’il demeure une méfiance à l’endroit des militaires, il y a une convergence de vue sur le fait que la transition doit être une voie permettant de jeter les bases d’un ordre constitutionnel durable. Autrement dit, les élections ne sont pas perçues par les citoyens et par certaines structures de la société civile comme l’objectif ultime de la transition.

Cette approche réformiste de la transition ne dégage pas toutefois un consensus sur la durée de la transition. Si les partis politiques, de manière générale, veulent une transition courte, une part importante des citoyens souhaite que l’on prenne le temps de mener les réformes de base, sans pour autant vouloir ouvrir grand les portes à la junte, qui risquerait alors de s’éterniser au pouvoir. On pourrait lire dans cette dernière position une ambivalence, voire une incohérence, mais elle porte en creux une profonde et historique demande sociale de renouveau politique, éthique et institutionnelle. Ce désir de renouveau est très bien perçu par la junte militaire qui n’hésite pas, au besoin, à l’instrumentaliser, soit par l’organisation d’assises nationales ( Mali), soit en confiant à un organe législatif la décision de fixer la durée de la transition (Guinée), les deux démarches visant à assurer à la junte un semblant de légitimité populaire.

En tant qu’entité supranationale dotée de moyens de pression, la Cedeao adopte une position conservatrice qui a l’avantage de contenir les risques de détournement de la transition par la junte dans l’éventualité où cette dernière chercherait à s’éterniser au pouvoir. Mais ce serait une erreur politique de ne pas prendre en compte les demandes de réformes morales, sociales et politiques que formulent les populations dans le contexte actuel des transitions.

Le temps des réformes Il y a donc ici une opportunité que pourraient saisir les États membres en développant une politique d’accompagnement des transitions qui prend en charge le désir de renouveau politique qu’expriment les citoyens. C’est ainsi que l’institution sous-régionale ouvrirait la voie aux réformes pratiques susceptibles de la rétablir dans son rôle de défenseur des intérêts politiques, sociaux et économiques des peuples ouest africains

Les possibilités de réforme pourraient cependant être limitées par deux contraintes : l’organisation normative de la Cedeao, qui est une communauté d’États souverains, et le déficit de légitimité démocratique qui affecte une grande majorité des États membres, de même que leurs difficultés à être des agents de développement économique et social. Il ne faudrait pas désespérer pour autant. Deux voies peuvent être explorées. Une phase préparatoire qui prendrait la forme d’un colloque sous-régional de haut niveau sur la réforme de la Cedeao, l’objectif étant de mobiliser l’expertise académique et technique pour réinterroger, à la lumière des savoirs scientifiques, des réalités sociales et anthropologiques, les dispositifs en matière de bonne gouvernance, de prévention et gestion des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité.

Stratégies de pacification et de réconciliation Dans cette perspective, il ne serait pas sans intérêt d’explorer le potentiel de stratégies de pacification et de réconciliation que contiennent les traditions culturelles, les religions, et les systèmes politiques africains. De même, il serait possible d’œuvrer à une meilleure opérationnalisation du système d’alerte précoce et de réponse de la Cedeao (ECOWARN) en le rendant indépendant et en mettant l’accent sur la dimension de prévention des conflits politiques et sociaux. Ce sont là des pistes de réflexion parmi tant d’autres. Il nous semble qu’il demeure parmi les priorités d’actions, celles qui tiennent compte de l’impératif des réformes politiques et institutionnelles sans lesquelles la sous-région et au-delà le continent africain continueront encore de patauger dans une instabilité durable et chronique. La réinvention politique de l’Afrique passera nécessairement par ces réformes qui devront faire partie des défis du mandat du président Macky Sall à la tête de l’Union africaine.

Amadou Sadjo BARRY, Philosophe et chercheur en éthique des relations internationales & Khadiyatoulah FALL, Professeur chercheur à l’Université du Québec à Chicoutimi (Québec, Canada) et membre émérite du Centre de recherches d’excellence interdisciplinaire et interuniversitaire (Celat)

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