Boom des enchères du parrainage au Sénégal : Plongée dans ce phénomène en plein essor Par Aladji Ben Malick Cissé Formateur

Le clientélisme est une gangrène pour les systèmes démocratiques. Son taux de prévalence dans les démocraties en Afrique et ailleurs dans le monde dépend essentiellement du niveau d’instruction et d’indépendance économiques des masses.

Le clientélisme  est un système où les décideurs politiques échangent des promesses de services gouvernementaux ou autres avantages monétaires ou matériels contre le soutien politique de groupes ou d’individus. Ce système, qui favorise la corruption, peut saper la démocratie et entraver le développement social et économique.

Le clientélisme politique en Afrique se manifeste par trois grandes causes.

D’abord, la distribution sélective de ressources aux individus, aux familles ou aux groupes qui promettent de voter pour eux.

Ensuite, les promesses électorales qui sont souvent utilisées pour gagner des votes. Elles peuvent prendre la forme d’emplois, de contrats gouvernementaux, de bourses d’études, et même d’argent liquide.

Enfin, le favoritisme politique marqué  par des individus ou des groupes qui les soutiennent politiquement, souvent au détriment de l’intérêt public ou des règles de concurrence équitables.

Donc, le clientélisme politique est un élément profondément enraciné dans la culture politique de nombreux pays africains. C’est un système qui encourage la corruption, crée un sentiment de favoritisme et, en fin de compte, peut nuire à la démocratie et au développement.

Face à la prolifération des partis politiques et à l’hyper inflation des candidatures aux différentes élections, l’Etat du Sénégal a institué un filtre dénommé parrainage universel avant de le reformer dans le cadre d’un dialogue politique en 2023 qui prend en compte le parrainage des élus.

Le parrainage, par définition, est censé être un soutien caractérisé de la part d’un électeur envers un candidat qu’il estime digne de ses votes. Cependant, à la lumière des récents événements, ce principe sacré du processus démocratique est devenu une monnaie d’échange. Le simple fait que le parrainage n’entraîne pas pour l’électeur une obligation de voter pour un candidat, a malheureusement servi de porte-ouverte à des actes de mercantilisme exacerbés.

 

Parrainage ou ruse politique

 

Les candidats ont été obligés de s’engager dans une bataille effrénée pour obtenir le seuil convoité de parrainage des électeurs régulièrement inscrits sur la liste électorale.  L’interdiction formelle de la collecte de parrainages dans les cantonnements militaires ou paramilitaires, dans les services militaires ou paramilitaires ainsi que dans les établissements de santé, n’a rien changé.

De plus, l’inflation des candidatures a aussi généré un autre problème sérieux – le contrôle des listes de parrainage. Il est devenu presque impossible pour le Conseil Constitutionnel de mettre en place un dispositif de vérification de ces parrainages en présence des représentants des candidats. En effet, le dispositif mis en place est discutable car il souffre de carence et de manque de transparence.

Malheureusement, ce qui aurait dû être le filtre à la candidature dans une démocratie participative s’est transformé en une ruse où trônent les enchères du parrainage. Les effets adverses du parrainage se sont manifestés avec un nombre sans précédent de dossiers de candidature, déclarés invalides et notifiés lors de la dernière élection présidentielle.

Il semble que le marché florissant du parrainage a pris racine au cœur même du processus électoral. Les leaders politiques métamorphosés en entrepreneurs politiques y trouvent un nouvel espace de jeu pour assouvir leur boulimie du pouvoir.  Le parrainage a institutionnalisé une forme de négociation politique nuisible à l’équilibre des grands partis politiques. Ceux représentés à l’assemblée nationale et dans les collectivités territoriales sont respectivement considérées comme les grands et les moyens partis.

N’importe quel quidam peut chercher et trouver des parrainages pour se positionner dans une coalition politique tout en dissimulant ses objectifs inavoués de servir des lobbys ou des intérêts économiques étrangers occultes. En clair, le système de déclaration de candidature et de retrait du dossier de parrainage a produit un effet contraire et pernicieux pour la démocratie sénégalaise.

Le législateur aurait dû être proactif, en appelant à un dialogue pour fixer de nouvelles règles, sans modifier le timing du processus électoral. Le parrainage qui était censé régler un problème sérieux est en passe de devenir un cancer pour la démocratie. Dans un contexte marqué par la paupérisation des populations et l’aveuglement des élites assoiffées de pouvoir, nous nous sommes retrouvés à une inflation de dossiers avoisinant plus de  234 déclarations de candidature pour la collecte du parrainage. Un fait inédit dans l’histoire politique du pays et même du monde.

Emportés par la nécessité de survie, les citoyens se retrouvent-ils à négocier leur part dans cette économie de parrainage ? Le futur incertain de la démocratie sénégalaise se pose avec acuité.

Une démocratie menacée

 

Les populations fortement ébranlées par la cherté de la vie et l’inflation galopante ont développé des stratégies de survie pour monnayer leur parrainage c’est ainsi qu’on assiste à l’ère du marchandage du parrainage citoyen et des élus de façon ostentatoire.

Sur le marché des enchères contrôlées par les entrepreneurs politiques aguerris et les néo entrepreneurs, les photocopies de cartes d’identité sont la principale matière première de ce business florissant.

A titre illustratif, une présidente d’association féminine de la banlieue dakaroise disposant de 500 cartes d’identité souhaite les monétiser à un million alors que lors des dernières élections 500 parrainages se vendaient à 300 mille francs CFA.

Une autre dame, chef d’entreprise, disposant de 5000 cartes d’identité dans une bourgade non loin de Thiès, élève les enchères et parle de 10 millions avec un suivi pour la mobilisation.  Là où le bât blesse c’est que rares sont les états-majors politiques qui disposent de fonds pour se lancer dans les enchères. Ce qui favorise un jeu de dupe entre les acteurs (citoyens « conjoncturés » et politiciens fauchés mais entourés de gardes rapprochés).

Les entrepreneurs politiques sont étonnés et surpris par la réticence des citoyens qui refusent systématiquement de les parrainer. Les citoyennes sont derrières les intermédiaires  qui négocient, sans vergogne et sans conviction avec tous les états-majors politiques pour dénicher le plus offrant.

Marchandage des parrainages

 

Les femmes sont les principales victimes, face aux difficultés d’accès aux crédits, les systèmes de survie autochtones comme les calebasses, AVEC et les tontines font légions dans les quartiers populeux de Dakar. Le mode opératoire consiste à demander aux candidats de financer leur calebasse, AVEC, Jamra et autres mécanismes d’économie sociale solidaire pour offrir leur parrainage. Une présidente de réseau de femmes dans tous ses états abreuve d’injures un jeune leader politique. Ce dernier l’a reçu avec une délégation de 8 autres femmes, et à la fin de la rencontre, le monsieur leur donne un petit billet représentant 25% de leur ticket transport aller-retour sans compter leur temps de préparation, leur « ganila », maquillage et encens. Une perte sèche pour les deux parties.

Les candidats sont dans l’expectative car en dehors du cadre familial et des inconditionnels, les citoyens ne se  sont pas lancés dans le parrainage.  Les deux parties se regardent en chien de faïence comme dans une drôle de guerre, l’enchère des parrainages emporte une dissymétrie congénitale.

Le législateur qui a reformé le parrainage n’est-il pas tombé dans son propre piège ? Le citoyen assailli par les problèmes de survie n’a-t-il pas transformé le parrainage en opportunité de survie pour soutirer un ticket de transport et hypothéquer sa voix vers l’émergence et sa voie pour le bien être ?

Des milliers de citoyens poussés à bout par les problèmes sont en phase de marchander leur avenir pour une petite pitance afin de payer le woyafal (électricité prépayée devenue un casse-tête chinois pour les ménages sénégalais en raison des tranches de tarification différenciées or comme il s’agit de facture prépayée, la commission de régulation de l’électricité aurait dû fixer un tarif unique médian transparent, si rien n’est fait on s’achemine vers les émeutes du woyofal).

Les modifications récentes apportées à la loi sur le parrainage au Sénégal ont fait naître de nouvelles dynamiques dans l’espace politique. L’objectif initial, limiter l’inflation des candidatures lors des élections, semble s’être retourné contre le législateur. Comment les citoyens ont-ils réagi face à ces changements ? Peut-on parler d’un véritable marché d’enchères de parrainage ? De nouvelles réalités à explorer.

De nombreux Sénégalais ont vu dans le parrainage une opportunité d’améliorer leur situation de vie quotidienne. Lucrative pour certains, cette dynamique a transformé le processus politique en véritable plateforme d’échange économique. Où est-ce que cela pourra-t-il nous mener ?

Annoncée comme un garde-fou pour maintenir un nombre réduit de candidats aux élections et améliorer la qualité des débats, la loi sur le parrainage semble avoir ouvert une boîte de Pandores au Sénégal. Face à l’inflation des candidatures et l’émergence d’un marché d’enchères autour du parrainage, des questions surgissent quant à la légitimité des candidats et l’intégrité du processus électoral.

Sous ce rapport, il convient d’accepter avec humilité que le processus électoral est vicié par le citoyen conscient mais fortement frappé par la conjoncture économique. Nul n’ignore les grands efforts de l’État et du gouvernement pour améliorer le sort des débrouillards sénégalais. Toutefois les résultats sont mitigés et insuffisants en raison de la maitrise approximative des données de la situation nationale et internationale.

L’État central et ses services de renseignements au courant de toutes les manigances laissent le jeu se poursuivre en dépit des vices constatés par ci et par là. Ce qui est déplorable, c’est qu’il y a davantage de dérives, de vices et de compromission dans les partis « d’opposition » et les mouvements citoyens censés être intègres que dans la mouvance présidentielle qui est un espace de clientélisme par essence.

Aladji Ben Malick Cissé

Formateur

Dieyna SENE
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