Cinq mois après l’entrée en vigueur du décret portant baisse du loyer, locataires et bailleurs se crêpent le chignon. Si les uns exigent l’application de la mesure, les autres disent niet. Une situation qui a fini de plonger les locataires sous la hantise d’une expulsion. Allons-nous vers un énième échec d’une telle mesure malgré l’installation d’une Commission nationale de régulation des loyers (CONAREL) ?
Malgré la mise en place de la Commission nationale de régulation des loyers (Conarel) et un numéro vert, le décret portant baisse du loyer au Sénégal tend vers un énième échec. Toute porte à croire cela selon les témoignages des locataires rencontrés. Mis en place pour limiter la surenchère des prix qui plombe le budget des classes moyennes sénégalaises, le nouveau texte sur l’encadrement des loyers impose une diminution de 15% des mensualités de moins de 300 000 francs CFA (457 euros), 10% pour celles inférieures à 500 000 francs CFA et 5% au-delà.
Abdoulaye Diouf (Ingénieur) : «Mon bailleur a refusé catégoriquement d’appliquer la mesure de baisse du loyer. Il nous a signifiés que l’Etat ne peut pas l’obliger à baisser le prix de sa maison et est prêt à tout pour cela»
«Lorsque le gouvernement a annoncé cette mesure, j’étais persuadé que cette fois-ci, ce sera la bonne. Contre toute attente, mon bailleur a refusé catégoriquement d’appliquer la mesure de baisse du loyer. Je partage un appartement à 160 000FCFA avec deux amis. Il nous a signifié que l’Etat ne peut pas l’obliger à baisser le prix de sa maison et est prêt à tout pour cela. Il nous a juste demandé de lui payer son argent ou de quitter tout simplement sa maison en attendant, la réaction des régulateurs.
Comme on ne veut pas se disputer avec un vieux retraité, on lui a donné la somme. Malgré cela, on a appelé le numéro vert donné par les autorités. Depuis lors, on attend impatiemment leur réaction, mais jusque-là rien», nous a confié Abdoulaye Diouf, ingénieur en électricité, qui vit avec sa femme et son garçon de trois ans dans cet appartement de trois chambres qu’il partage avec deux de ses amis.
Sidy Sow, tailleur : «Mon bailleur était prêt à m’affronter frontalement, il exige que je lui paye son dû convenu lors de la négociation du contrat ou de quitter tout simplement dans les meilleurs délais».
Sidy Sow, âgé d’une quarantaine d’années, tailleur de son état, vit une situation plus compliquée depuis l’entrée en vigueur de cette loi. Son bailleur ne pense même pas respecter la mesure et pire encore, il l’a sommé de quitter sa maison. Alors qu’il croyait cette fois-ci pouvoir économiser 72 000FCFA par an grâce à cette mesure.
«Mon bailleur était prêt à m’affronter frontalement, il exige que je lui paye son dû convenu lors de la négociation du contrat ou de quitter tout simplement dans les meilleurs délais. Comme je ne veux pas de problèmes, je lui ai remis son argent et j’ai appelé le numéro vert donné les par les autorités, mais jusque-là, aucune réaction. Une situation très regrettable car l’Etat doit aller au bout de ses intentions», rouspète-t-il furax reprochant ainsi les autorités étatiques de prendre des mesures sans conséquences. Comme la loi de 2014, cette nouvelle mesure de baisse du loyer de 2023 qui a pour but de soulager les ménages sénégalais déjà éprouvés par la cherté des denrées de première nécessité, crée plus de problèmes qu’elle en résout. Khady Sow, ne dira pas le contraire.
«Depuis l’entrée en vigueur de la mesure, mon bailleur et moi on se regarde en chiens de faïence. Nonobstant, il a appliqué les nouveaux tarifs, mais il demande mon départ dans un délai de six mois», s’est offusquée cette employée de la Lonase, habitante d’un quartier populaire de la capitale sénégalaise. «Mon bailleur préfère que je parte plutôt que d’appliquer le nouveau décret sur la baisse des loyers. Avec de nouveaux locataires, elle pourrait même augmenter le prix», s’est alarmé ce sexagénaire qui comptait sur le décret entré en vigueur le 1er mars 2023 pour réduire ses dépenses.
Face au refus du bailleur, beaucoup baissent les bras soit par peur d’être expulsés, soit par manque de moyens pour payer un huissier. Il est important de noter que des bailleurs utilisent des méthodes pour faire sortir les locataires, pour des raisons d’utilisation personnelle ou de reconstruction… puis ils louent à un prix plus élevé à de nouveaux entrants.
«Ce décret va réduire les revenus des agences immobilières, car la commission est notre gagne-pain. (…). Les bailleurs ont des prêts bancaires à rembourser, sans parler des frais de gestion ou des taxes de revenus locatifs…»
Une mesure qui ne satisfait pas Mamadou Mbaye, président de la Fédération des agences et courtiers immobiliers du Sénégal (Facis), intervenant dans une radio de la place.
«Ce décret va réduire les revenus des agences immobilières, car la commission est notre gagne-pain. Comment allons-nous pouvoir gérer notre quotidien ?», se demande le professionnel, qui a reçu plusieurs appels des bailleurs.
«Ils ont des prêts bancaires à rembourser, sans parler des frais de gestion ou des taxes de revenus locatifs… Comment faire si leurs revenus diminuent ?», s’est-il interrogé.
Selon Momar Ndao, président de la Commission nationale de régulation des loyers (Conarel), juste un peu plus quatre mois après l’entrée en vigueur de la loi, près de 5 mille appels téléphoniques relatifs au loyer et émis par les locataires et des bailleurs ont été enregistrés. 3076 parmi les appelants demandaient des renseignements sur des questions précises ou bien sollicitaient l’éclairage de la Commission sur l’interprétation de certains textes.
Également, d’après le président de l’Association des consommateurs du Sénégal (Ascosen), 73% des appels téléphoniques ont trait aux questions ou aux demandes de renseignement et 26% concernent les réclamations dues à des incompréhensions entre le bailleur et le locataire
L’Info