L’appel au dialogue lancé par le président de la République, Macky Sall, est déjà source de divergences au sein de l’opposition. Si les principaux responsables de la coalition Yewi Askan Wi, en l’occurrence Khalifa Sall, ainsi que le Pds, se montrent favorables, le leader du Pastef affiche un niet catégorique, se retrouvant ainsi quelque peu isolé.
«S’il y a quelqu’un qui n’a pas intérêt à répondre à cet appel au dialogue, c’est Sonko»
Sans l’air d’y toucher, le Président Macky Sall réussit ainsi sa politique de diviser pour mieux régner. «A mon avis, le premier objectif visé parMacky Sall, à travers ce dialogue, c’est de diviser cette opposition, indique Babacar Dione, journaliste et analyste politique. Avec les déclarations de certains leaders de Yewwi et de Wallu, on se retrouve très vite avec une division de cette alliance. Donc, si c’est ce que le Président voulait, il l’a eue.»
Un avis conforté par le Dr Alassane Ndao, enseignant-chercheur en Sciences politiques à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis.
«Si on suit la pratique historique du dialogue, on voit qu’à chaque fois qu’on a convoqué un dialogue politique, c’est le pouvoir qui l’a initié et cela lui permettait de desserrer l’étau. Quand le pouvoir se sent menacé et sous pression, il utilise toujours le stratagème du dialogue politique pour diviser l’opposition, mais aussi pour souffler un peu. Et de ce point de vue, que Sonko participe ou non, ça ne change rien. L’initiateur va obtenir ce qu’il cherche et atteindre ses objectifs.»
Dr Ndao est aussi d’avis que s’il y a quelqu’un qui n’a pas intérêt à répondre à cet appel au dialogue, c’est bien Ousmane Sonko, pour au moins deux raisons. D’abord la préservation de son image politique et de sa base électorale. «Parce qu’il a un électorat par rapport auquel il s’est identifié, un électorat extrêmement exigeant et il le sait. Il a toujours incarné l’image d’un opposant radical, qui n’est pas dans le compromis ou la compromission.
Et c’est cela qui est à la base de son succès politique et de sa popularité auprès d’une classe sociale très représentative, à savoir les jeunes. Donc, s’il s’associe à ce dialogue avec tout ce qu’il y a comme incertitudes et toute la suspicion qui l’entoure, je ne pense pas que cela lui profite sur le plan de l’image politique, et donc cela peut affaiblir sa base électorale.»
L’autre raison c’est que dans tous les cas, il va profiter des retombées de ce dialogue. «Qu’il y participe ou pas, Sonko va profiter des fruits de ce dialogue. Parce que les gens ne sont pas dupes, on sait que le fond de ce dialogue, c’est de remettre dans le jeu politique ou électoral Khalifa Sall et Karim Wade, et cela passe fondamentalement par le biais de la modification du Code électoral. Si par hasard, Sonko est condamné, il va bénéficier de cette modification du Code. C’est ce qu’on appelle le ticket gratuit.»
«Le refus de Sonko de prendre part à ce dialogue le conforte dans son rôle d’opposant radical»
«Pourquoi Sonko n’a pas intérêt à aller modérer ses positions dans ce dialogue» En outre, Babacar Dione souligne qu’il faut comprendre que Ousmane Sonko et les autres leaders ne sont pas dans les mêmes dispositions. «Je pense que Ousmane Sonko n’a rien à gagner dans ce dialogue, et je peux comprendre aisément pourquoi il n’y participe pas, explique-t-il.
Le Président Macky Sall dit que c’est un dialogue politique, où on va discuter des choses mais dans le respect de l’Etat de droit et des Institutions de la République, en précisant que l’exécutif n’a rien à voir dans ce que la Justice fait, mais ce que Sonko pourrait attendre de mieux de ce dialogue, c’est que la machine judiciaire enclenchée contre lui soit stoppée et qu’il puisse participer à la Présidentielle de 2024.Parce que ce soit Khalifa Sall ou Karim Wade, l’essentiel pour eux, c’est de pouvoir participer à cette élection. Mais Ousmane Sonko ne peut pas être amnistié, alors qu’il n’a pas encore été jugé, donc ils n’ont pas les mêmes objectifs par rapport à la situation actuelle. Donc, Sonko n’a rien à gagner à participer à ce dialogue.»
De plus, souligne-t-il, le refus de Sonko de prend repart à ce dialogue le conforte dans son rôle d’opposant radical. «Il n’a pas intérêt à aller modérer ses positions dans ce dialogue. Il était parti répondre à l’appel du Président lors de l’épidémie du Covid19, mais ensuite, il a dit qu’il a regretté d’y être allé. Et aujourd’hui, le fossé est tellement profond entre lui et la majorité que je ne vois pas comment ils pourraient s’asseoir autour d’une même table. Ça aurait peut-être été mieux si le Président Macky Sall avait posé des actes ou lancé un signal fort, mais personne n’a intérêt à aller à un dialogue sans être sûr d’en sortir quelque chose.»
Pour Babacar Dione, il ne s’agit que d’un nôm de dialogue, car même pour le précédent qui avait été convoqué, il n’en est pas ressorti grand-chose.
«A part récupérer un pan entier du Pds et des leaders de l’opposition qui sont venus rejoindre Benno Bokk Yaakaar, pratiquement rien d’autre n’en est sorti. Donc, ce n’est un dialogue que de nom où les dés sont déjà pipés. Karim Wade et Khalifa Sall s’attendent à retrouver leurs droits civils et politiques, mais les autres n’ont rien à y gagner.»
Extraits de L’Obs