Je m’entretiens ici avec un homme qui sort son épée dès que le nom de Senghor chante dans une bouche. Il est devenu si insignifiant cet homme, si désolant, qu’il n’est plus qu’une ombre, un nom de rappel sans prénom. Rien de consistant, désormais, à force de haine et de rage. Il habite ce pays qu’il n’aurait pas dû habiter, car ce pays sait être élégant, mesuré et bon. Cet homme ne connait rien ni de l’art d’écrire, ni de l’art de gouverner, ni du respect de la mémoire. Entre « encre et sueur », il a choisi, raide, le confort de l’accusation au point qu’il lui faut de la morphine pour reposer la rage qui le dévore.
On peut détester Senghor, mais en accepter l’auguste page d’histoire et de gloire ! La bataille d’idées est un art et non une bave fétide qui dégouline sans retenue. Comment peut-on naître et grandir dans l’histoire nourricière d’héritages verdoyants d’un pays comme le Sénégal et vivre dans la laideur, la rancœur, la méchanceté, avec une « insensibilité bovine ?» Il importe d’apprendre à ne jamais se détacher de ses origines les plus nobles ! Cet homme qui, depuis près de 54 ans, dans un délire étouffant et maladif, dépèce Senghor et complote pour déchirer sa photo sur tous les murs du Sénégal et de Navarre, possède, avec perversion, ce génie rare d’égarer l’opinion. Il ne vaincra pas, car on ne vainc pas la vérité et la justice.
Chez nous, j’ai fini par apprendre que le soleil peut devenir très froid. Pour les snipers, j’ai mon casque blindé. Pour les calibres 39, j’ai mon gilet pare-balle : la page ivre des livres, la tasse de café au gingembre et la photo de maman ! Je n’entends pas les détonations ! Avec les livres comme avec la musique, on échappe à toutes les médiocrités, à tous les attentats. La culture sauve de la peur !
Dans mon cœur, une seule prière pour ce pays que j’aime tant : cessons de prédire le mal et l’échec pour nos semblables et pour ceux que notre peuple, en politique, a choisis pour le conduire. Cessons d’être envieux ! Surtout cessons d’être heureux quand ceux à qui Dieu a donné et l’éloge et le génie, voient des traits de mensonge bien combinés, tenter de les dégrader ! Senghor, oui Senghor, en est l’innocente victime, insidieusement et de manière fort habile, ces temps derniers, sur une de nos chaines de télévision nationale !
Sédar en a vu d’autres de son vivant et même dans son repos céleste ! Mais nous veillons et non pas seulement ceux qui vouent un respect au poète qui a donné l’indépendance à son pays et fondé une nation au-delà d’une République, à l’homme d’État qui nous a fait habiter ensemble et uni et le cœur du musulman et le cœur du chrétien et le cœur de l’impie. Veillent également tous ceux qui savent et clament que Senghor est notre visa pour avoir mis le Sénégal dans le cœur de tous les peuples du monde. N’est pas et ne sera pas Senghor qui veut !
Et ce n’est pas vrai que tous « les régimes se valent, c’est-à-dire ne valent rien. » Il y a ceux qui laissent un container de rubis mal pesés et ceux qui laissent un container de ferraille. Senghor à bâti une histoire. Il a bâti une nation. Il est vain de vouloir le salir ! Les orages l’ont toujours grandi et ils ont toujours fait germer de belles récoltes. En plus, il est paré d’une louable et inattaquable intégrité ! Le montant de ses fonds politiques n’atteignait même pas le salaire d’un PDG d’aujourd’hui. Son administration était élevée, policée, éthique, aiguisée. Ses ministres intègres, charismatiques, chefs d’équipe et meneurs d’hommes hors pair, inspiraient respect et grandeur. Non ! que personne ne tente d’insulter la mémoire de Senghor ! Il n’est pas derrière nous. Il nous précède encore. Il est devant et pour longtemps encore.
Je suis grave : quand on cherche le mal, quand on cherche à faire du mal, c’est que le mal est déjà en vous. Un bouffon singulier, sans humilité, un homme des sous-sols, de la complicité et de la duplicité, un habile, mielleux et dangereux manipulateur qui, sans bruit creuse son terrier dans les nouvelles prairies du pouvoir, un idéologue funeste et de pacotille qui vend de la propagande pour acheter de la rancœur, un gueux débraillé et tragique, une grosse bête, s’attaque sans fin à un grand esprit, un grand homme d’État pour venger une âme à qui, lui-même, avait loué une chambre d’hôtel en enfer. Il ne dit jamais tout. Il cache ce qu’il était et qui n’était pas beau. Il créait sa propre histoire et y soustrait le mal qu’il a fait. Il vole la vérité et restitue la mauvaise monnaie au mensonge. Sa conscience est lépreuse. Mais dans mille ans d’ici, Senghor, on l’enviera encore au Sénégal. Il sera l’admiration des hommes et inspirera l’humanité par sa pensée.
Dans ce pays, pourquoi de grands hommes le matin, deviennent vite de petits hommes le soir ? Prions pour le bien et œuvrons pour la vérité ! C’est là le chemin de la Lumière et du repos. Songeons au peuple Sénégalais à naitre demain et préparons-lui le meilleur des voyages ! Nous, nous passons et nous sommes déjà passé ou presque. « Si tout ici-bas était excellent, il n’y aurait rien d’excellent. »
Je ne demande pas pardon pour avoir écrit ces lignes amères. Ils ne ressemblent pas à mon âme. Mais il fallait les écrire ces mots, pour guérir de ce mal toujours si matinal qui vous déchire en mille votre journée. Il fallait que je parle de cet homme et à cet homme qui attente jour et nuit à la dignité de Senghor. Il se reconnaitra. Que personne ne vienne me demander sa photo. Il n’a qu’une seule photo : Senghor déterré et conduit en cellule pour y être pendu ! Cet homme se trompe de combat. Il n’a pas la bonne adresse : ni le quartier, ni la rue, ni le numéro, ni le pays et ni le siècle !
« Dieu trace et tu effaces. Il retrace, tu effaces. Il t’efface et retrace. » J’ajoute que si le savoir, la raison, l’humilité et la générosité ne te sortent pas de l’obscurité close où tu sombres, retournes donc à la nuit épaisse qui te sert de logis et de misère ! Oui, un loup vengeur est revenu dans la ville. Il cherche Sédar. Ils se rencontreront. Il a l’arc mais Senghor a la flèche ! Alors, c’est là que commencera la magie de l’agenouillement ! On n’humilie pas Senghor !
Il me reste 22 ans encore pour avoir l’âge du poète quand il nous a quittés le 20 décembre 2001 à 95 ans. C’est long de vivre 22 ans dans un monde qui n’est pas beau qui laisse les jeunes tristes et délaissés, qui sait que jamais il n’effacera la pauvreté et ne vaincra la misère. Même Dieu ne saurait le réussir !
Notre refuge d’éternité est-il sous terre ou dans les cieux étoilés ? Notre corps reposera dans une tombe et notre âme montera au ciel, dit-on ! En vérité, nous ne savons pas, mais se préparer à faire le voyage, est déjà prendre le chemin du repos, du silence et de la Grande Découverte.
Ici, les hommes ne savent plus se taire ! Ils parlent et fomentent le mal plus qu’ils ne prient. Ils cherchent coûte que coûte la fortune et à tous les prix. L’homme n’est plus « capable de Dieu » ! Il a mangé toutes les semences !
Laissez Senghor tranquille ! Laissez-le dormir. Il a tant veillé !
Amadou Lamine Sall
Poète
Lauréat des
Grands Prix de
l’Académie française