La prochaine réunion de la CEDEAO se tiendra dans un contexte international particulièrement troublé. À la fragilité du système multilatéral international s’ajoutent plusieurs autres signaux inquiétants :
– les décisions souvent déroutantes du Président américain Donald Trump ;
– une désolidarisation latente au sein de la communauté économique, récemment révélée lors de l’élection du Président de la Banque africaine de développement ;
– la persistance d’attaques terroristes dans notre espace sous-régional ;
– le conflit Israël-Iran et les risques systémiques qu’il fait planer ;
– les fractures croissantes induites par la démarcation de l’Alliance des États du Sahel (AES) ;
– l’exclusion programmée de certains pays de la CEDEAO des instances dirigeantes de la FIFA.
Ce climat d’incertitude doit conduire à une réaction concertée. Ces défis ne sauraient être traités de façon isolée, ni éludés par des déclarations de principe. Ils imposent la construction d’un code de conduite régional fondé sur des principes partagés et, surtout, sur une volonté politique forte. Le tout doit bien évidemment être assorti d’actions concrètes et pragmatiques où s’invite au quotidien une transparence totale.
Par ailleurs, comme souligné dans l’une de mes contributions d’août 2023, l’heure d’une évaluation rigoureuse, lucide et sans complaisance de la CEDEAO, a bien sonné. Il ne s’agit pas de nier ses acquis mais de s’interroger à l’aune des préoccupations du moment et de potentielles interrogations du futur. Il s’agit, plutôt et surtout, de se réinventer dans un monde qui n’autorise pas de certitudes, où tout bouge, tout s’accélère.
Alors, il nous faut cohabiter avec le doute, signe précurseur d’une avancée bien calibrée.
Sans être exhaustif, voici 16 axes d’évaluation, qui pourraient utilement structurer une telle démarche :
- Impact concret des interventions de la CEDEAO dans le domaine de l’électrification régionale ;
- Actions entreprises face aux tragédies migratoires, notamment la disparition de nos jeunes en mer ;
- Valorisation des complémentarités agricoles (notamment rizicoles) entre les États membres ;
- Contribution réelle à la souveraineté alimentaire ;
- Politiques d’industrialisation coordonnées et fondées sur des normes communes ;
- Positions de la CEDEAO face aux reculs démocratiques observés dans certains pays membres ;
- Traitement à géométrie variable des coups d’État et ses effets déstabilisants ;
- Capacité à défendre des positions régionales fortes sur la scène internationale ;
- Avancées concrètes en matière d’équité de genre dans la gouvernance régionale;
- Soutien à l’enseignement supérieur et à la recherche comme leviers d’innovation ;
- Équilibre entre réunions politiques et celles à vocation économique, scientifique ou culturelle ;
- Méthodes de recrutement : excellence ou répartition politisée des postes ?
- Prises de position sur l’accaparement des terres et la gestion de nos ressources naturelles ;
- Coût des sommets et impact réel des résolutions adoptées ;
- Stratégies concertées de lutte contre le terrorisme et les trafics transfrontaliers ;
- Initiatives concrètes en faveur de la restauration de nos bases productives.
Je m’arrête à ces 16 points, non pour clôturer le débat, mais pour ne pas assombrir davantage une « fête » déjà fortement troublée.
En vérité, la CEDEAO n’apparaît, de manière visible, lisible et palpable, que lors des coups d’État. D’aucuns en viennent à la considérer, non sans raison, comme une organisation d’élites au service d’élites, au lieu d’une institution portée par les peuples et pour les peuples.
Si rien n’est tenté, la CEDEAO risque de sombrer dans une lente érosion, rongée par l’usure du temps, engluée dans des annonces sans lendemain.
Cette Afrique de l’Ouest est, à la fois, si riche de promesses et si pauvre d’ambitions collectives assumées.
Dr Papa Abdoulaye Seck
