La victoire écrasante du PASTEF aux législatives du 17 novembre 2024, avec 130 sièges sur 165, ouvre une nouvelle ère dans l’histoire politique du Sénégal. Le parti redéfinit les équilibres de pouvoir dans un pays qui, depuis les alternances historiques d’Abdoulaye Wade en 2000 et de Macky Sall en 2012, s’est affirmé comme un modèle de démocratie en Afrique. Avec la victoire présidentielle de Diomaye Faye, ce triomphe législatif sous la direction d’Ousmane Sonko amorce une mutation politique profonde, porteur des espoirs d’une démocratie réinventée et d’une justice sociale amplifiée.
Dans un pays où 75 % des citoyens ont moins de 35 ans et où le taux de pauvreté demeure à 37 %, les attentes sont immenses, surtout à l’aube de l’exploitation des ressources pétrolières et gazières. Ce contexte exacerbe les défis de gouvernance, invitant à concilier audace réformatrice et équilibre institutionnel. Le PASTEF, fort d’une majorité confortable, porte une responsabilité historique : transformer ces espoirs en actions tangibles, tout en évitant les pièges d’un pouvoir centralisé. Parviendra-t-il à démontrer qu’une majorité absolue peut coexister avec un contrôle parlementaire rigoureux et relever les urgences sociales et économiques du moment ? L’avenir du Sénégal repose désormais sur cette réponse, entre promesse et exigence.
1- Au croisement de la conjoncture socio-économique : entre incertitudes et espoir
La 15e législature arrive à un moment charnière, alors que le Sénégal se trouve à un tournant critique de son développement économique et politique. Les découvertes pétrolières et gazières de 2014 insufflent l’espoir d’une transformation économique profonde, avec des perspectives de revenus annuels estimés à 1,4 milliard de dollars (environ 868 milliards CFA) d’ici 2030, représentant près de 7 % du PIB national. Ces ressources, en apparence prometteuses, offrent une opportunité unique de financer des ambitions de croissance inclusive et de répondre aux attentes pressantes des citoyens. Cependant, derrière cette promesse se profilent des défis colossaux. Le projet gazier de Grand Tortue Ahmeyim, nécessitant plus de 7 milliards de dollars d’investissements, illustre à la fois le potentiel immense de ces découvertes et les inquiétudes des investisseurs, nourries par une instabilité juridique perçue et les incertitudes entourant les renégociations des contrats.
Dans ce contexte, l’Assemblée nationale porte une responsabilité cruciale : transformer les aspirations populaires en une gestion alignées avec les axes stratégiques du projet « Sénégal 2050 » porté par le Président Diomaye Faye: renforcer la gouvernance et l’engagement panafricain, promouvoir un aménagement durable, investir dans le capital humain et la justice sociale, et développer une économie compétitive et créatrice d’emplois. L’objectif du projet est ambitieux. Il s’agit, entre autres, de tripler le PIB par habitant, actuellement à 1500 dollars, et réduire le taux de pauvreté de 37 % à 10 % d’ici 2050. Pour atteindre ces objectifs, les choix budgétaires devront privilégier des secteurs clés tels que l’éducation, la santé, l’énergie et les infrastructures, tout en corrigeant les disparités régionales. Riche en ressources stratégiques – or à Kédougou, phosphates à Thiès, zircon en Casamance et terres rares à Matam – le Sénégal est à un carrefour historique. Une gouvernance rigoureuse, alignée sur « Sénégal 2050 », pourrait convertir ces richesses en une croissance inclusive et durable. Ce défi est une opportunité unique pour répondre aux attentes d’une population en quête de justice sociale et d’une prospérité harmonieuse et partagée.
Malgré son potentiel naturel, le Sénégal reste très dépendant de l’agriculture, un secteur qui emploie environ 50% de la population active mais qui ne contribue qu’à hauteur de 17% au PIB. La prépondérance des cultures pluviales, représentant 80% de la production agricole, limite fortement les rendements, exacerbant les inégalités régionales où la pauvreté dépasse parfois 65%, surtout dans le monde rural. Le défi consiste donc à transformer ce potentiel agricole en une chaîne de valeur intégrée, englobant la production, la transformation et la commercialisation, tout en diversifiant l’économie nationale. L’extension des infrastructures d’irrigation pour développer les cultures céréalières et maraîchères et l’investissement dans les énergies renouvelables, comme la ferme solaire de Bokhol, visent à réduire la dépendance aux énergies fossiles, qui représentent encore 62 % de l’électricité du pays.
Pour maximiser leur potentiel, ces initiatives doivent s’appuyer sur un cadre législatif solide et des mécanismes de contrôle transparents. Les revenus des hydrocarbures doivent être investis stratégiquement dans la modernisation des infrastructures et la réduction des disparités régionales, afin de garantir un développement inclusif et durable. Cette approche est cruciale pour répondre aux attentes des populations les plus vulnérables, notamment les femmes et jeunes. Chaque année, environ 200 000 nouveaux entrants rejoignent le marché du travail, tandis que le taux de chômage des jeunes atteint 21,6 % au deuxième trimestre 2024, selon l’ANSD. Face à cette situation alarmante, des solutions concrètes et rapides sont indispensables pour relever le défi de l’emploi des jeunes.
Pour concrétiser ces ambitions, une gestion rigoureuse des finances publiques est impérative. Fin 2023, la dette publique s’élevait à 15 664 milliards de FCFA, soit 83,7 % du PIB, menaçant la stabilité macroéconomique du pays. La suspension récente du programme avec le FMI, conséquence de la découverte de dettes dissimulées représentant 3 % du PIB, souligne l’urgence d’une gouvernance budgétaire transparente et responsable. Dans ce cadre, le Parlement devra jouer un rôle décisif pour encadrer l’utilisation stratégique des revenus des hydrocarbures. Ces fonds devront être prioritairement investis dans des secteurs essentiels, tout en favorisant une croissance inclusive portée des champions nationaux. Une gestion rigoureuse pourrait ainsi rétablir la confiance des partenaires financiers et répondre aux attentes des citoyens. Cependant, cela n’est possible que dans un climat politique apaisé et dans un contexte de stabilité nationale préservée.
2- La domination parlementaire et le défi du pluralisme
Les législatives de novembre, marquées par une domination du PASTEF, représentent une étape décisive dans l’histoire politique du Sénégal. Alors que la nouvelle Assemblée nationale s’installe, des questions se posent sur l’avenir du pluralisme démocratique. Institution clé, l’Assemblée nationale a pour missions l’élaboration des lois, le contrôle de l’action gouvernementale et la représentation citoyenne. À travers l’adoption des lois de finances et la supervision des politiques publiques, elle occupe une place centrale dans l’équilibre des pouvoirs, influençant directement l’évolution démocratique et institutionnelle du pays.
Avec 130 sièges, le PASTEF occupe une position de domination inédite, soulevant des interrogations sur la capacité de l’opposition à jouer pleinement son rôle dans un système démocratique équilibré. Les coalitions Takku Wallu Sénégal (16 sièges), Jamm Ak Jariñ (7 sièges) et Samm Sa Kaddu (3 sièges) peuvent-elles surmonter les défis d’une représentation limitée pour incarner un contre-pouvoir efficace ? L’histoire parlementaire récente offre des parallèles éclairants : en 2001, la coalition Sopi de Wade avait obtenu 74 % des sièges (89 sur 120), facilitant des réformes mais marginalisant l’opposition. En 2012, Macky Sall, avec Benno Bokk Yakaar, consolidait 79 % des sièges (119 sur 150), suscitant des critiques sur un affaiblissement du débat démocratique. Aujourd’hui, le PASTEF, bien que bénéficiant d’une majorité écrasante, porte la responsabilité de préserver les acquis démocratiques et d’éviter les écueils des précédentes majorités hégémoniques.
Malgré les craintes, certains éléments prometteurs suscitent l’optimisme. La 15e législature, riche d’une diversité de profils, laisse entrevoir des perspectives de renouveau.
Des figures émergentes telles que Anta Babacar Ngom, Tahirou Sarr, Abdoulaye Sylla et Cheikh Tidiane Youm apportent une énergie nouvelle et pourraient catalyser des réflexions approfondies sur des questions cruciales comme la gouvernance institutionnelle et la gestion des ressources naturelles.
Aux côtés de ces nouveaux visages, des personnalités aguerries comme Thierno Alassane Sall, ardent défenseur de la transparence, et Barthélémy Dias, connu pour son franc-parler parfois perturbateur, viendront renforcer les débats tout en incarnant un rôle de veille républicaine.
De surcroît, l’intégration de membres issus des anciens régimes de l’APR et du PDS confère à cette Assemblée une pluralité. Si les élus parviennent à dépasser les clivages partisans traditionnels et à privilégier une approche collaborative, cette législature pourrait devenir un véritable moteur de progrès, rehaussant significativement la qualité des débats parlementaires. Un équilibre réussi entre jeunesse et expérience pourrait transformer les commissions parlementaires en espaces de concertation productive, contribuant ainsi à bâtir une gouvernance plus solide et représentative.
Le PASTEF, fort de sa majorité écrasante à l’Assemblée nationale, devra éviter le piège du fait majoritaire qui pourrait étouffer les critiques internes indispensables à la vitalité démocratique. Cette domination place le parti face à une responsabilité historique : promouvoir une gouvernance inclusive et ouverte, en évitant toute dérive autoritaire.
Parallèlement, l’opposition, bien que réduite, devra transcender ses divisions et adopter une posture constructive pour regagner la confiance des citoyens. Elle devra proposer des alternatives crédibles, incarnant un véritable contrepoids institutionnel. Dans ce contexte de mutation politique, l’équilibre entre un pouvoir exécutif fort et une opposition pertinente sera déterminant pour redéfinir les fondements d’une démocratie sénégalaise renforcée et résiliente, à même de répondre aux attentes d’un peuple en quête de justice et de prospérité.
Conclusion : un moment décisif pour le Sénégal
Le Sénégal entre dans une ère cruciale avec un Parlement porteur d’immenses espoirs et responsabilités. Ce moment historique exige une gouvernance transparente et un équilibre institutionnel fort, évitant les dérives d’une centralisation excessive qui fragiliserait les acquis démocratiques. L’Assemblée nationale doit transformer les aspirations populaires en réformes inclusives, conciliant ambitions économiques et attentes sociales pressantes.
La victoire du PASTEF symbolise plus qu’un succès politique : elle incarne un appel à bâtir un modèle unique où démocratie et prospérité s’élèvent ensemble. Si ces réformes, soutenues en partie par le Parlement, sont menées avec rigueur, elles pourraient positionner le Sénégal comme un éclatant exemple pour l’Afrique. Mais le défi est grand, car toute désillusion risque de compromettre cet élan. C’est une opportunité historique pour unir la nation autour d’un projet audacieux et durable, tourné vers un avenir prometteur. Dans cette dynamique, la responsabilité confiée à nos honorables représentants du peuple n’a jamais été aussi cruciale pour assurer la réussite de cette transformation historique.
Dr Mamadou Bodian
Laboratoire des Études Sociales
Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN-UCAD)
Université Cheikh Anta Diop de Dakar