Ne négligeons pas les maladies tropicales négligées ! (Fatimata Ly Médecin, dermatologue)

Une histoire clinique classique

Mme B S, 40 ans souffre depuis 2009, elle est atteinte d’une maladie tropicale négligée : le mycétome fongique. Elle exerce une profession salariée dans le secteur public de l’éducation, ne bénéficiant pas d’assurance médicale encore moins de couverture sanitaire universelle, pour subvenir à ses dépenses de santé. L’IPM à laquelle elle est affiliée ne prend pas en charge les médicaments nécessaires à son traitement. Ainsi, en plus de l’aide familiale elle a du faire un prêt à la banque.

 

De multiples consultations médicales, cinq interventions chirurgicales, de nombreux  examens biologiques, des examens d’imagerie (radiographie, échographie, scanners …) ont rythmé la vie de Mme B S toutes ces années. Des médicaments commandés à l’étranger car non disponibles au Sénégal, la longue attente pour une programmation chirurgicale.

 

Elle doit faire face à un inconfort permanent, un mal vivre, un impact psychologique négatif pour elle-même et sa famille ainsi qu’une altération de la qualité de vie. En outre, elle est envahie par un sentiment de culpabilité lie à l’absentéisme professionnel. Autant de difficultés qui à la longue finissent par anéantir l’être le plus déterminé.

 

Depuis le diagnostic, elle a dépensé plus de 7 millions de francs CFA pour la prise en charge de sa maladie : le mycétome fongique.

 

Le mycétome fongique : une maladie tropicale négligée.

 

Le mycétome fongique fait partie de la liste des 20 maladies tropicales négligées  élaborée par l’OMS qui sévissent principalement dans les zones tropicales, où elles touchent plus d’un milliard de personnes pour la plupart pauvres. Elles ont des conséquences sanitaires, sociales et économiques désastreuses pour plus d’un milliard de personnes. Ignorées de l’action mondiale pour la santé, elle sont qualifiées de négligées ce qui alourdit davantage le fardeau sanitaire de ces maladies.

Contrairement aux données épidémiologiques classiques, les MTN ne sont pas cantonnées aux zones rurales et sont retrouvées également en zone urbaine.

 

Le mycétome fongique est donc une infection chronique qui atteint préférentiellement les tissus sous cutanés résultant de l’inoculation de champignons d’origine exogène (retrouvés sur le sol et dans l’environnement) à la faveur d’un traumatisme minime comme des piqûres d’épine. Cette  mycose profonde peut atteindre également les os ou les viscères à long terme et se manifeste généralement par une tuméfaction avec des fistules qui produisent des grains de couleur variable, habituellement noirs. Le mycétome se localise préférentiellement sur le pied mais toutes les localisations sont possibles.

 

Des récidives fréquentes, un traitement coûteux  

 

Pour Mme MB, 40 ans, le mycétome se localise au niveau du bassin avec toutes les complications possibles chez une femme en âge de devenir mère. Ceci rend très difficile le traitement qui est généralement chirurgical car les médicaments ont une efficacité assez limitée d’autant plus que les récidives sont fréquentes.

De plus ces médicaments antifongiques coûtent excessivement chers  et ne sont pas toujours disponibles dans les pharmacies des structures sanitaires publiques ni dans la plupart des officines.

A titre d’exemple :

  • une boîte de 28 comprimés de terbinafine250 mg pour 7 jours de traitement coûte entre 16.208-23.593 F CFA.
  • une boite d’itraconazole 200 mg de jours de traitement  coûte 60.000 FCFA
  • une boite de voriconazole200 forme injectable coûte 20.140 FCFA
  • une boite de 28 comprimés de voriconazole pour 7 jours de traitement coûte 329.695 (trois cent vingt neuf et six cent quatre vingt quinze) F CFA

Nous l’avons déjà dit, le mycétome fongique est une infection chronique et la durée du traitement est de deux ans au minimum. Or la prévention est hypothétique tout au plus on peut recommander le port de chaussures pour les mycétomes localises aux pieds !

 

Plusieurs challenges

 

Certes  le MSAS s’est doté d’un plan stratégique national de lutte contre les MTN, mais l’effectivité au niveau des structures de soins tarde à se faire sentir et ce sont les soignants et les patients qui subissent de plein fouet la double négligence de ces maladies tropicales.

Nombre de recommandations ont été faites, il convient de faciliter la couverture médicale universelle pour tous les patients atteints de maladies tropicales négligées : consultation gratuite, médicaments gratuits, examens complémentaires gratuits. De plus, informer les populations, poser un diagnostic précoce (mieux un dépistage dans les zones à risque).

 

Appel à une solidarité discrète et efficiente

 

Les patients atteints de MTN ont besoin d’empathie et d’aide mais sans forcement exposer leur douleur sur les réseaux sociaux et les plateaux de télévision. Les aidants peuvent le faire en toute discrétion en contactant directement les concernés.Les bonnes volontés peuvent s’engager, en parrainant des patients, elles  pourraient ainsi améliorer leur quotidien et leur qualité de vie par le réconfort mais également par la prise en charge des frais médicaux.

 

Dans le cadre de leur responsabilité sociétale, les  entreprises pourraient soutenir les efforts du MSAS dans la prise en charge des patients atteints par les MTN.

 

Dans le cadre des services rendus à la communauté les universités pourraient mettre en place un réseau pour la formation, les soins et la recherche sur les MTN.

 

Ne négligeons pas les patients atteints de MTN

Ne négligeons pas les MTN au delà des slogans : actions are needeed !

Fatimata Ly

Médecin, dermatologue à Dakar

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