Moderniser la gestion des archives au Sénégal : une condition de l’émergence économique.

Contribution du Dr Adama Aly Pam, archiviste paléographe, diplômé de l’Ecole des Chartes (Paris), dans laquelle il explique le rôle et la place du système d’archivages (actes mémoriels) dans  les stratégies d’amélioration des pratiques de la bonne gouvernance dans  de notre pays.

La lecture du Conseil des Ministres du Gouvernement du Sénégal en date du 24 juin 2015,  est pour la communauté des archivistes, un moment historique fondateur. En effet, comment ne pas se réjouir du fait que ce soit le premier de tous les sénégalais qui se fait le porte-voix de ce que nous réclamions depuis des années. Le Président de la République, son Excellence Macky Sall, fixe le programme. « Doter le Gouvernement d’une bonne politique de gestion des archives, qui intègre, le renforcement du cadre réglementaire, le recrutement de personnels professionnels et le recours à la numérisation des documents administratifs et financiers. » Il a raison. Il est un lieu commun que de dire que les documents administratifs constituent la source fondamentale des politiques publiques. Leur gestion, leur interprétation, leur mémoire constituent les bases de l’action politique pour le développement. On minimise encore aujourd’hui la gestion de l’information dans les administrations africaines. Le résultat du bric-à-brac de l’analyse et de la gestion de l’information, constitue un facteur de blocage et de contre performance de l’administration et une perte énorme de temps et d’énergie.

Le Gouvernement du Sénégal a pris la mesure de la tache et indique la voie en envisageant la tenue d’un Conseil Interministériel sur la gestion des archives publiques. Les archivistes sénégalais applaudissent des deux mains. En effet, la tradition administrative de notre pays, la valeur de ses officiers publics, ne peuvent et ne doivent laisser se développer une telle situation. La situation décriée par l’Inspection générale d’Etat est depuis quelques années un leitmotiv dans les rapports de la cour des comptes. Une grande majorité des administrations contrôlées laisse apparaître une gestion calamiteuses des archives. Une modernisation de l’administration s’impose. Le documents officiel du Plan Senegal Emergent indique parmi les 6 principes de gouvernance du PSE, la gestion de l’information. Les rédacteurs de ce rapport indiquent clairement que le «  manque de transparence dans les transactions, dans la disponibilité de l’information et la gestion des ressources au profit d’intérêt privé et au détriment de l’intérêt général. La mal gouvernance contribue également à l’aggravation de la pauvreté et constitue une menace pour le contrat social qui fonde la République. La corruption, pendant de la mal gouvernance, constitue un autre fléau qui limite les perspectives de développement » (p. 62). Cela est d’autant plus vrai que l’identification et la conservation des preuves justifiant les actes des officiers publics permettent à toute administration de limiter le risque de contentieux. Leur conservation permet également de garantir les droits des administrés. Les archives sont donc un vecteur de transparence démocratique et renforcent la confiance des citoyens dans l’administration. En un mot, leur bonne gestion est un devoir de service public. Par ailleurs, l’action pour le développement se planifie et s’ordonne autour d’objectifs prioritaires et la gestion des archives autrement dit, le capital d’expériences accumulé dans ces ressources, constitue un facteur important dans la réussite des politiques publiques.

La capitalisation l’information contenue dans les archives est d’utilité pratique pour le développement national. Il est évident que le recours aux expériences déjà faites, au lieu de recommencer celles-ci, permet d’économiser le temps, l’argent et le travail. Cette nécessité énoncée de manière pudique ou voilée à travers l’expression de «Continuité administrative» à chaque fois que les ministères passent entre d’autres mains résume à elle seule la nécessité pour les administrations publiques ou des organisation africaines à se soucier un peu plus des archives ou des dossiers. Cette difficulté est d’autant plus grande que la plupart des administrations africaines, les rapports entre l’administrateur et l’archiviste se heurtent sur une différence de perspective.  Pour l’administrateur ancré dans le présent, l’expédition des affaires courantes prime sur le classement des papiers et sur leur utilité à long terme. L’archiviste met au contraire le passé à la portée de l’administrateur et assure la protection des documents du présent en vue des besoins prévisibles de l’administrateur du futur.
Un grand nombre de programmes de développement notamment dans le domaine de la planification et de la recherche opérationnelle souffrent d’un défaut de maitrise de l’information. Ainsi, le défaut de la capitalisation de l’information et des savoirs est source d’investissement coûteux et inutiles entraînant ainsi une longue et coûteuse répétition des expériences passées.
Il reste a souhaiter que le dispositif institutionnel envisagé ait comme finalité, la mise en place des procédures de gestion de l’information administrative au niveau  de tous les organes de l’Etat et de leurs démembrements. Une évolution du dispositif législatif et réglementaire de la gestion de l’information ainsi que la tradition administrative est nécessaire. Celui-ci devra assurer la pérennité, la traçabilité et la sécurité de l’information produite ou reçue dans le cadre de l’exercice dévolue aux entités administratives.

L’administration pourrait dans le cadre de l’E-Gouvernance, s’appuyer sur le dispositif de l’Intranet Gouvernemental afin de rendre la disponibilité de l’information administrative plus accessibles aux administres et aux décideurs. Toutefois, quelques écueils devraient être levés. Une organisation rationnelle de l’information est encore plus nécessaire à l’ère du numérique et constitue un des enjeux de la modernisation des services publics. En effet, le développement des technologies de l’information numérique est source de risques : multiplication incontrôlée, modification, falsification, voire disparition totale des données. La garantie de la fiabilité,de l’exactitude et de l’authenticité des données devient,dans ce cadre, cruciale. En effet, l’écrit électronique est confronté à trois défis majeurs : l’inflation, l’intégrité et la pérennité. Le système a mettre en place devra :

  • certifier l’authenticité des documents électroniques et d’assurer leur intégrité ;
  • garantir la traçabilité et la pérennité des documents électroniques ;
  • répondre aux exigences légales et réglementaires de conservation et de communication des documents.

Si en France, la loi du 13 mars 2000 et la modification du Code civil portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relatif à la signature électronique stipule que :

Art. 1316-1. du Code civil  – L’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ».

 

La contrainte juridique demeure une problématique essentielle. En effet, l’authenticité des documents électroniques doit être établie pour leur permettre de servir de preuve en cas de contentieux devant les tribunaux. Transposée dans l’UEMOA, à l’exception du Burkina et du Sénégal[1], les pays de l’Union ne disposent pas de textes législatifs de portée générale concernant l’écrit sous forme électronique. Seul le Règlement n ° 15/2002/CM/UEMOA, qui régit les systèmes de paiement, dispose que « l’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier et a la même force probante que celui-ci, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ». Il stipule en outre que la signature électronique consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle se rattache. La fiabilité d’un procédé de signature électronique est présumée jusqu’à la preuve du contraire, lorsque ce procédé met en œuvre une signature électronique sécurisée, établie grâce à un dispositif sécurisé de création de signature électronique, garanti par un certificat qualifié.

Il existe des mesures dont l’application rigoureuse dès la validation des documents électroniques permet de garantir leur authenticité[2]. En outre, la signature électronique pourrait être utilisée en fonction du degré des risques liés à un défaut d’authentification par ce procédé. Le point de vue des archivistes devrait être pris en compte afin d’éviter toute vision techniciste dommageable a la conservation a long terme du patrimoine archivistique national sur support numérique. J’ose espérer que les archivistes seront au cœur du dispositif a mettre en place et que l’on évitera d’en faire une affaire des informaticiens. C’est la condition pour faire du projet, un dispositif d’archivage et de conservation numérique, au lieu d’un dispositif de stockage informatique.   Nous demeurons persuadés que le Gouvernement actuel du Sénégal qui a déjà pris la mesure des enjeux relatifs à la gestion des archives administratives du pays saura s’entourer de l’expertise qu’il faut pour la réalisation des grands chantiers dans ce secteur stratégique majeur.

Docteur Adama Aly PAM,

Archiviste paléographe,

Fonde de Pouvoirs, Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest

adamapam2002@yahoo.fr

[1]

Loi n° 2008-08 du 25 janvier 2008 sur les transaction électroniques et les décrets d’application. La loi oblige le professionnel du commerce électronique à conserver les preuves de la transaction au moins 10 ans si le montant dépasse 20 000 FCFA.

 

[2]

Attribuer une référence et une date au document électronique, dès sa validation, convertir le fichier en format non-modifiable (exemple PDF /A), intégrer le document original dans le SAE, dès sa validation, et saisir aussitôt les métadonnées associées, protéger l’intégrité du fichier et veiller à ce que l’information conservée puisse être lue à tout moment.

 

Momar Diack SECK
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