Marchés agricoles: entre autosuffisance et spéculation, l’ARM face à ses défis Par Souleymane Jules Séne

Depuis janvier 2025, l’Agence de Régulation des Marchés (ARM) multiplie les décisions de suspension d’importations pour protéger la production nationale. Après l’oignon en début d’année, c’est la banane qui a rejoint, le 1er septembre, la liste des produits bénéficiant d’un gel d’importation aux frontières.

Une production locale en forte croissance

La filière banane sénégalaise est en nette progression. Les estimations de 2025 oscillent entre 105 000 et 112 000 tonnes, pour des besoins nationaux d’environ 130 000 tonnes. L’écart tend à se réduire, signe d’une autonomie grandissante. La banane rejoint ainsi l’oignon, la pomme de terre, la carotte ou encore le sucre parmi les produits de plus en plus couverts par la production locale.

Du côté de l’oignon, l’ARM avait déjà décidé en janvier de geler les importations afin de permettre l’écoulement des récoltes attendues en février. Ces mesures s’inscrivent dans une stratégie plus large de souveraineté alimentaire, portée par les autorités depuis 2024.

Des résultats encourageants

Selon les chiffres officiels, plusieurs produits de base ont enregistré une baisse sensible :

– Riz brisé ordinaire : de 425 F/kg (janvier 2024) à 350 F/kg (août 2025), soit -21,4 %.

– Pain : de 175 F à 150 F, soit -16,6 %.

– Farine : de 19 325 F le sac à 15 500 F, soit -24,6 %.

– Oignon : de 14 500 F le sac à 9 000 F, soit -61,1 %.

– Pomme de terre : de 14 500 F à 10 500 F, soit -38 %.

Ces indicateurs traduisent une dynamique positive, appuyée par des subventions sur les intrants agricoles et la montée en puissance de la production locale.

Un marché encore dominé par la spéculation

Cependant, sur les marchés de détail, les consommateurs continuent de faire face à des prix élevés, notamment pour l’oignon et la banane. Malgré l’abondance de la production, le kilo de banane se vend encore autour de 1 000 F CFA, tandis que le sac d’oignons dépasse fréquemment les 15 000 F CFA.

Les causes sont connues : circuits de distribution opaques, forte présence d’intermédiaires, contrôles insuffisants et sanctions peu dissuasives. Ce décalage entre les annonces officielles et la réalité des marchés alimente un sentiment de frustration chez les ménages.

Vers une régulation plus efficace 

Pour les spécialistes, l’ARM doit désormais aller au-delà des gels d’importations et renforcer son rôle de régulateur. Parmi les pistes avancées :

– Fixer des prix de référence et des plafonds pour certains produits sensibles.

– Soutenir les coopératives de producteurs afin de réduire le poids des grossistes.

– Développer des infrastructures de stockage pour limiter les pertes post-récolte.

– Intensifier la lutte contre la spéculation et garantir la transparence dans la formation des prix

 

Le Sénégal progresse vers l’autosuffisance agricole, avec des filières locales de plus en plus solides. Mais le défi reste entier : transformer ce succès de production en un bénéfice concret pour les consommateurs. Entre protection des producteurs et défense du pouvoir d’achat, l’ARM est appelée à trouver un équilibre qui donnera tout son sens à la souveraineté alimentaire prônée par les autorités.

Par Souleymane Jules Séne

Mamadou Nancy Fall
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