Agence Ecofin – Interrogé en 1920 par un critique sur son rapport aux arts venus d’Afrique, Pablo Picasso fait une réponse longtemps considérée comme odieuse : « L’art nègre, connais pas ». Pourtant, et c’est de notoriété publique, le peintre espagnol a fortement été influencé par l’art africain.
Il suffit d’avoir l’œil fin en observant sa peinture « Les demoiselles d’Avignon » pour percevoir des traits inspirés par les masques africains. Il les découvre entre 1907 et 1909 chez son ami André Derain, qui a acquis un masque de la culture Fang du Gabon. Plus tard lors d’une visite au musée français du Trocadero, Picasso en croise d’autres.
« J’ai compris que c’était le sens même de la peinture. Ce n’est pas un processus esthétique, c’est une forme de magie qui s’interpose entre l’univers hostile et nous, une façon de saisir le pouvoir en imposant une forme à nos terreurs comme à nos désirs. Le jour où je compris cela, je sus que j’avais trouvé mon chemin » confie-t-il alors à sa compagne Françoise Gilot, sur le côté ensorcelant des œuvres d’arts venues du continent noir.
L’artiste pluridisciplinaire entame alors une collection d’art africain qu’il conservera toute sa vie. On y retrouve tambours Kongos, harpes Keles ou sculptures Tsoghos du Gabon, ainsi que des masques de diverses ethnies africaines. Il s’imprègne des couleurs et des procédés utilisés, et la forme très géométrique des visages dans ses propres œuvres est notamment due à sa grande fascination pour ces masques.
En 1912, Picasso réalise une guitare de carton et de fils, puis une autre en tôle 2 ans plus tard. La guitare est en fait inspirée d’un masque Grebo aux yeux cylindriques provenant de Côte d’Ivoire. L’art africain prend ainsi une place clé dans sa vie, et il en discute constamment avec ses amis Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor. Un an avant sa mort, il envoie pour la première fois ses œuvres en Afrique, à Dakar au Sénégal où elles sont présentées lors d’une grande exposition organisée par Senghor.
Au soir de sa vie, de manière symbolique, l’artiste semblait vouloir présenter à la terre mère d’autres fruits de ses sources, d’autres œuvres qu’elle a inspirées plusieurs milliers de kilomètres au-delà de ses frontières. De ce point de vue et à la lumière d’un tel amour pour l’art venu d’Afrique, son « Connais pas » prend une connotation différente.
Qu’on ose lui demander, à lui qui achète des dizaines d’œuvres africaines, son rapport à l’art du continent noir, a certainement irrité l’artiste. Sa réponse ironique a ainsi une signification différente pour les spécialistes. Pour eux, Picasso ne voulait pas qu’on considère l’art africain comme exotique ou atypique. Il considérait l’art africain comme une science à part entière, et il en dira beaucoup de bien tout le long de sa vie.
« Mes plus grandes émotions artistiques, je les ai ressenties lorsque m’apparut soudain la sublime beauté des sculptures exécutées par les artistes anonymes de l’Afrique » confie-t-il par exemple dans une correspondance à son ami, le poète Guillaume Apollinaire.
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