Ça Fait Débat Avec Wathi : Entre Paris, Ouagadougou et quelques autres capitales ouest-africaines, la voie étroite de la lucidité

Après le Mali, la France va mettre fin dans un délai d’un mois à sa présence militaire certes plus réduite au Burkina Faso, à la demande des autorités de Ouagadougou. Quelle est la portée de ce nouveau développement inattendu ? Ça fait débat avec Wathi.  (RFI)

Cette demande officielle du départ des forces spéciales de l’opération Sabre suscite des débats interminables avec une longue liste de questions : le Burkina Faso suit-il la voie de la quasi-rupture diplomatique comme le Mali ?

Les autorités de transition de Ouagadougou veulent-elles inviter sur leur sol les éléments du groupe Wagner dont je rappelle qu’il n’a pas d’existence légale en Russie même, les sociétés militaires privées n’y étant pas reconnues ?

Le Burkina entend-il s’appuyer essentiellement sur la Russie pour lutter contre les groupes armés terroristes par des équipements, des instructeurs et des combattants réguliers ?

Le Burkina essaie-t-il plutôt de prendre le contrôle exclusif de la définition de sa stratégie sécuritaire et de son opérationnalisation en éliminant l’influence d’un partenaire, la France, qui lui paraît encombrant et pas très utile ?

S’agit-il aussi ou même d’abord d’une décision politique visant à renforcer le soutien populaire au régime du capitaine Ibrahim Traoré en répondant à la demande exprimée bruyamment par une large partie de la jeunesse urbaine ?

Les questions sont nombreuses et la plupart ne trouveront leurs réponses que dans les prochaines semaines et les prochains mois.

Gilles Yabi, vous partagez l’analyse du général de corps d’armée à la retraite Bruno Clément-Bollée, ex-commandant des Forces françaises en Côte d’Ivoire et de l’opération «Licorne», qui a publié le 26 janvier une tribune dans le journal Le Monde dont le titre est explicite : « Fini, l’Afrique dominée, place à l’Afrique souveraine et son message : l’Afrique aux Africains ! »  

Oui, il dit, je le cite « Sur le plan historique, nous sommes tout simplement en train de changer d’époque, passant d’une Afrique dominée à une Afrique souveraine. Cela se déroule sous nos yeux, mais peu le comprennent : nous refermons en ce moment une très longue période, démarrée avec la colonisation, de domination marquée et ininterrompue du continent par des acteurs extérieurs ». Il estime que le mouvement est irréversible et que l’avertissement ne s’adresse pas qu’à la France, « C’est l’Occident dominateur la vraie cible, écrit-il. L’Afrique rejette la gestion du continent par l’Occident, qui depuis toujours fixe les règles, et d’abord à son avantage. En cela, l’Afrique est précurseur d’un mouvement planétaire. Le milliard d’Occidentaux est désormais sommé de réviser son rapport avec les sept autres milliards d’humains. » C’est une analyse qui me paraît d’une grande lucidité.

Mais vous dites que l’exigence de lucidité signifie côté ouest-africain se préoccuper avant tout de la stabilisation sécuritaire, politique et sociale du Burkina Faso

S’il est normal qu’à Paris, la question prioritaire soit celle de cette spectaculaire perte de sa position de partenaire privilégié au Sahel, en Afrique de l’Ouest, c’est celle des perspectives de sécurité et de stabilité régionale qui dépendent fortement de ce qu’il se passera au Burkina Faso. Sur le plan politique, après deux coups d’État en un an, on ne voit plus très bien ce qui pourrait le déstabiliser davantage. L’intérêt partagé des acteurs politiques, militaires et sociaux du pays est que l’actuel pouvoir réussisse là où les précédents ont échoué.

La principale réponse sécuritaire des autorités de Ouagadougou, c’est la mobilisation massive de civils armés sous la forme des volontaires de la patrie. Les risques de cette approche sont connus et il faut absolument en tenir compte. Le besoin d’un encadrement rigoureux est évident, mais les moyens humains et matériels d’effectuer cet encadrement sont très limités. Si la voie de la mobilisation collective pour sauver la patrie est défendable, le risque de dérives graves, de délitement du tissu social ou aujourd’hui celui d’une classification de la population en deux groupes, les patriotes et les traîtres à la patrie, sont des menaces graves.

Il n’y a rien qui puisse davantage éloigner le temps de la paix dans un pays que la stigmatisation et la peur de l’autre, dans un contexte de large disponibilité d’armes de guerre, de jeunes désœuvrés et légitimement frustrés, de raréfaction des ressources et de manœuvres de forces extérieures intéressées.

Source RFI

Pape Ismaïla CAMARA
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