Certains analystes voient le monde tel qu’ils voudraient qu’il soit.
Ce travers n’est pas anodin. Il est même au cœur de nombreuses erreurs d’analyse politique et économique actuelles. Aveuglés par leurs désirs, leurs idéaux ou leurs appartenances idéologiques, certains intellectuels élaborent des diagnostics dans lesquels le réel doit ressembler à leur utopie, plutôt que d’être observé dans toute sa brutalité. Le résultat est qu’ils parlent d’un monde qui n’existe pas. Ils préconisent des remèdes à des maladies imaginaires.
Ils confondent l’État fictif et l’État réel.
L’État fictif, c’est celui des constitutions bien rédigées, des institutions bien nommées et des conférences bien organisées. Il donne l’illusion d’un ordre républicain, d’une rationalité administrative et d’une justice équitable. Mais ce n’est qu’un décor. L’État réel, lui, est tissé de rapports de force, de clientélisme, de réseaux opaques, de connivences et de compromis. C’est lui qui agit vraiment, qui bloque vraiment, qui décide vraiment. Fermer les yeux sur cette réalité, c’est faire de l’analyse politique une activité littéraire. Or, on ne gouverne pas avec des poèmes.
La lucidité exige autre chose : elle exige de la science et de la patience.
« La sagesse, c’est la conscience de la science dans la patience. » Ce proverbe africain sonne comme un rappel à l’ordre. Il indique que comprendre le monde requiert une méthode : la science, avec son exigence de preuve et de rigueur. Il dit également que cette science ne suffit pas si elle n’est pas éclairée par une conscience : celle du doute, de la prudence et de la limite humaine face à la complexité. Surtout, il affirme que tout cela doit s’inscrire dans une patience stratégique : celle qui observe, apprend, ajuste et attend le moment opportun.
Car l’impatience produit des ruptures stériles. Elle croit que tout peut changer du jour au lendemain, en niant les inerties du réel. Or, ni les peuples, ni les systèmes, ni les mentalités ne se transforment au rythme des slogans. L’action juste, comme le jugement sensé, suppose du temps, de la patience et une vigilance constante contre les illusions.
En somme, l’analyse est un art de guerre, pas un exercice de style. Elle doit se détacher de ce que l’on voudrait pour épouser ce qui est. Regarder le réel en face, sans filtre ni fard, est déjà un acte de courage. C’est la première étape d’une transformation possible. Pas rêvée, mais possible.
Et c’est peut-être cela, au fond, la véritable sagesse politique : ne jamais mentir sur l’état du monde.
Cherif Salif Sy
Dimanche, 17 aout 2025