Chaque saison des pluies, le Sénégal est confronté à une réalité désormais récurrente : routes submergées, quartiers entiers isolés, centres de santé paralysés et populations désemparées. Les inondations d’août 2025 en sont une illustration frappante.
Le centre de santé Philippe Maguilen Senghor de Yoff, tout comme plusieurs zones basses de Dakar, a été à maintes reprises envahi par les eaux, compromettant la continuité des soins. Dans les quartiers périurbains, les bassins de rétention débordent et la stagnation prolongée des eaux accroît les risques sanitaires. Ces désastres ne sont pas uniquement liés à la pluie : ils traduisent une fragilité structurelle liée à l’urbanisation incontrôlée, au « tout béton » et à l’absence d’un système d’assainissement adapté.
Le piège de l’urbanisation galopante : Les inondations révèlent avant tout une urbanisation rapide et mal maîtrisée.
Les exutoires naturels des eaux de ruissellement (anciens marigots, vallées fossiles, dépressions) sont colonisés par des villas et immeubles, transformant chaque pluie en menace.
Les villes de Dakar, Pikine, Guédiawaye, Rufisque, Kaolack, Thiès, Ziguinchor et surtout Saint-Louis connaissent des épisodes récurrents de submersion, aggravés par la montée du niveau marin et la défaillance des systèmes de drainage. Saint-Louis, qualifiée de ville africaine la plus exposée au risque d’inondation, pourrait voir 80 % de sa superficie submergée d’ici 2080.
Ce scénario annonce une précarisation accrue des ménages et des déplacements massifs de populations, comme l’ont déjà montré les 340 000 personnes déplacées entre 2008 et 2022 à la suite d’événements similaires.
Entre urgence politique et vision scientifique : Un fossé persistant oppose l’agenda des chercheurs à celui des décideurs. Les premiers privilégient une vision de long terme fondée sur des études prospectives et des solutions systémiques : relocalisation des zones à haut risque, réaménagement du territoire, bassins de rétention interconnectés, infrastructures vertes et solutions basées sur la nature. Les seconds, sous la pression sociale et électorale, s’enferment dans l’urgence du pompage des eaux, du curage des caniveaux et de la distribution de sacs de sable.
Ce réflexe curatif, certes visible, n’agit que sur les symptômes et empêche la mise en œuvre des chantiers structurants. Faute de sanctuariser les ressources pour les investissements d’avenir, la gestion reste fragmentée, politisée et vulnérable aux cycles électoraux.
Le spectre de la mal-adaptation : Face à la récurrence des crises, des réponses improvisées et parfois mal calibrées entretiennent le risque de mal-adaptation. Reloger les sinistrés dans des zones tout aussi vulnérables, multiplier des infrastructures conçues dans l’urgence ou orienter les financements vers des projets déconnectés de la réalité des écosystèmes ne font qu’accroître la fragilité des villes. Loin de réduire les vulnérabilités, certaines interventions aggravent les inégalités socio-spatiales et freinent la transition vers une véritable sécurité climatique.
Chaque hivernage devient alors une répétition du même scénario : budgets absorbés par le curatif, retards accumulés dans les chantiers structurants et populations de plus en plus exposées.
Vers un cadre de gouvernance approprié : Pour rompre ce cercle vicieux, il est urgent de penser autrement la relation entre ville et eau. L’expérience internationale l’a prouvé, notamment aux Pays-Bas où des villes comme Rotterdam et Amsterdam ont démontré qu’il est possible de « construire avec l’eau » plutôt que contre elle. Le Sénégal dispose également d’outils et d’expertises.
Le Projet de Gestion Intégrée des Inondations (PGIIS), les Plans de Gestion du Risque Inondation (PGRI) et les Plans Communaux de Sauvegarde (PCS) constituent des instruments prometteurs. À Saint-Louis, le Plan de Résilience Climatique (PRC) validé en juin 2025 intègre des actions concrètes face aux inondations pluviales, fluviales, marines, à l’érosion côtière et à la salinisation des terres. Mais pour que ces initiatives réussissent, elles doivent s’appuyer sur trois piliers : une gouvernance transparente, une articulation entre urgence et durabilité et une mobilisation accrue de la recherche et de la société civile.
Construire la résilience de demain : Les inondations ne sont pas une fatalité. Elles constituent un révélateur des vulnérabilités de nos villes mais aussi une opportunité de réinventer un urbanisme adapté aux réalités climatiques. Protéger les populations aujourd’hui tout en préparant demain impose de maintenir deux fronts simultanés : soulager l’urgence sans sacrifier la durabilité. Cela exige cohérence, continuité et vision stratégique.
Le Sénégal a l’expertise, les instruments et les expériences locales et internationales à capitaliser. Ce qui manque encore, c’est une volonté claire de dépasser les logiques d’urgence et d’ancrer la résilience urbaine dans une stratégie de long terme. C’est à ce prix que nos villes pourront transformer l’épreuve des inondations en levier pour construire un avenir plus sûr et durable.
Cheikh Tidiane Wade
Thiowor