Utiliser la diplomatie et des sanctions mordantes pour battre les putschistes au Niger *Par Paul Ejime

Curieuse époque que celle que nous vivons ! A moins de sept mois de la présidentielle de février 2024, personne ne peut dire avec certitude qui sera sur la ligne de départ. Il y a, certes, une floraison de candidatures, mais il y a tellement d’écueils à surmonter que cela reste encore de simples bonnes intentions.

 

La situation est plus cocasse au sein de la majorité qui gouverne ce pays depuis bientôt douze années. Le président Macky Sall s’est tellement employé à éteindre les ambitions dans son parti qu’il a du mal aujourd’hui à porter son choix sur un profil capable de rallier le « peuple » de Bennoo à la cause de la « conservation du pouvoir ».

Tout occupé à poser des écrous pour y visser toute volonté d’échappée solitaire dans sa coalition, il a oublié que le « ni-ni » n’a jamais fait un projet ni une stratégie.

 

L’erreur de Macky Sall, c’est de n’avoir pas préparé sa succession. Il n’a jamais voulu de « numéro deux » au sein de son parti. Tous ceux qui avaient commencé à se forger une certaine légitimité politique ont été mis sous l’éteignoir. Il y a eu d’abord le flamboyant Me Alioune Badara Cissé, le premier ministre des Affaires étrangères de Macky, viré au bout d’une année et accusé des sept péchés d’Israël.

Suivra Aminata Touré, celle qui avait pris la tête du combat contre les biens mal acquis au ministère de la Justice avant de se retrouver à la Primature. Son éjection violente avait provoqué un malaise dans le parti au pouvoir. Mahammad Boun Abdallah Dionne, Premier ministre et directeur de campagne de Macky Sall en 2019, connaîtra le même sort. Avec le patron de Bennoo, plus grand est le succès, plus violente est la chute.

 

 

 

 

 

Il ne fait aucun doute que les sanctions imposées au Niger par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en réponse au coup d’État militaire du 26 juillet qui a renversé le gouvernement du président élu Mohamed Bazoum, sont sévères, en particulier la suspension de l’approvisionnement en électricité par Nigeria,

 

Après la réunion du week-end dernier à Niamey avec une délégation d’Ulamas musulmans (érudits) du Nigeria, la junte dirigée par le général de brigade Abdourahamane a commencé à chanter un air différent de sa position intransigeante précédente.

 

Il a été annoncé après cette réunion que les dirigeants de la junte étaient désormais prêts à dialoguer avec la CEDEAO, après avoir traité avec un manque de respect une délégation de l’organisation dirigée par l’ancien chef d’État militaire nigérian, le général Abdulsalami Abubakar, et ont également refusé de recevoir une réunion conjointe CEDEAO-UA. -Mission de l’ONU.

 

Les soldats auraient été en colère que la CEDEAO « n’ait pas entendu leur version de l’histoire avant d’imposer les sanctions », et ont également menacé de recourir à la force militaire si Bazoum détenu n’était pas libéré et réintégré dans les sept jours.

 

L’ultimatum de sept jours s’était depuis écoulé sans aucune intervention militaire alors que la junte de Niamey consolide plutôt son emprise sur le pouvoir en annonçant des gouverneurs régionaux militaires et un cabinet de 21 ministres dirigé par un Premier ministre civil Ali Lamine Zeine. Zeine est également ministre des Finances dans le cabinet avec des soldats détenant des portefeuilles clés de la défense et des affaires intérieures.

 

Lors de leur deuxième sommet d’urgence sur la crise nigérienne le 10 août à Abuja, les dirigeants régionaux avaient ordonné le déploiement de la Force en attente de la CEDEAO pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger. Ils avaient en outre ordonné « au Comité des chefs d’état-major de la défense d’activer immédiatement la Force en attente de la CEDEAO dans tous ses éléments ».

 

Mais dans l’intervalle, il est apparu que Tchiani et ses collègues de la junte avaient reçu le groupe d’Ulémas musulmans dirigé par le cheikh Bala Lau.

 

Les deux parties auraient convenu que le dialogue avec la CEDEAO était une meilleure option pour la résolution de l’impasse au Niger.

 

Des responsables du régime militaire auraient également fait l’éloge de la CEDEAO en tant qu’organisation régionale importante, soulignant la nécessité de la diplomatie et appelant à la levée des sanctions régionales.

 

Mais peu de temps après cette évolution apparemment positive, la junte a annoncé qu’elle accuserait Bazoum détenu de haute trahison pour avoir prétendument invité des forces étrangères à attaquer le Niger.

 

La CEDEAO a répondu en exprimant une colère « stupéfaite », condamnant le déplacement de la junte comme provocateur. Le bloc régional a en outre réaffirmé que Bazoum restait le président démocratiquement élu du Niger.

 

Pendant ce temps, il devient évident que si la menace de la CEDEAO d’utiliser la force militaire a pu jouer un rôle, les impacts des sanctions régionales, en particulier la coupure de l’approvisionnement en électricité, se sont avérés une arme des plus efficaces pour forcer la junte à négocier tableau.

 

Outre le Niger, trois autres États membres de la CEDEAO – le Mali, la Guinée et le Burkina Faso sont désormais sous des dictatures militaires, le Mali et le Burkina Faso promettant de s’associer au Niger contre l’intervention militaire prévue de la CEDEAO.

 

D’une manière ou d’une autre, l’utilisation de la force au Niger devient impopulaire en raison de la crainte qu’elle ne fasse boule de neige en une entreprise catastrophique. Il existe une opposition dans certains États membres de la CEDEAO, dont le Nigeria, le principal voisin du Niger, qui devrait jouer un rôle majeur dans une telle entreprise.

 

Aussi, l’Algérie et la Mauritanie, voisins du Niger au Sahel, préféreraient des initiatives diplomatiques.

 

Alors que les chefs militaires de la CEDEAO tiennent leur deuxième réunion d’urgence à Accra, au Ghana, les 17 et 18 août depuis la réception des ordres de marche pour l’activation de la Force en attente des chefs régionaux le 10 août, l’attente générale est que la CEDEAO resterait sur le message, toujours brandir la carte militaire, mais en même temps, permettre aux efforts diplomatiques parallèles de se poursuivre.

 

Sans aucun doute, le coup d’État militaire au Niger est un coup d’État de trop dans la région de la CEDEAO. Mais il est également vrai que l’incursion militaire dans la politique dans la région politiquement agitée n’est qu’un symptôme de l’échec systémique permanent des systèmes de gouvernance, caractérisé par la corruption, la mauvaise gestion, le trucage des votes, le mépris de l’État de droit et les violations des droits de l’homme.

 

Certains dirigeants de la région ont modifié de manière flagrante les constitutions nationales pour gagner ou conserver le pouvoir, dans un contexte de tendances inquiétantes au parrainage, à la captation de l’État, à la personnalisation de la démocratie et au contrôle antidémocratique du législatif et du judiciaire par les branches exécutives du gouvernement.

Les soldats ont leur place dans leurs casernes pour la protection de la souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale. Mais la tendance hypocrite à toujours sauter pour condamner les coups d’État militaires, tout en permettant aux dirigeants politiques de continuer en toute impunité, génère la colère du public, en particulier lorsque les manifestations de rue pacifiques se heurtent souvent à une répression impitoyable par les politiciens.

 

Dans le cas du Niger, la lutte de pouvoir interne entre Bazoum et son parrain, l’ancien président Mahamadou Issoufou, associée au projet du président déchu de procéder à des changements majeurs dans les institutions gouvernementales, y compris les forces armées, pourrait avoir déclenché le putsch, l’ingérence étrangère est également jouant un rôle majeur.

 

Le Niger est un allié occidental majeur, en particulier les États-Unis et la France. Les deux ont des bases militaires dans le pays.

 

Pour héberger les principales installations militaires américaines, y compris les drones de collecte de renseignements, et pour aider les pays occidentaux à stopper l’immigration en provenance d’Afrique, le Niger recevait une aide étrangère d’une valeur de centaines de millions de dollars.

 

En outre, le pays est également riche en ressources naturelles, notamment l’uranium, qui est très utile pour la production d’énergie nucléaire, bien que celle-ci soit exploitée par des entreprises occidentales au profit de leurs pays.

 

Par exemple, la France utilise l’uranium du Niger pour générer environ 70% de son alimentation électrique tandis que 80% des 26 millions d’habitants du Niger se vautrent dans l’obscurité, le pays se situant au bas de l’échelle du classement du développement humain des Nations Unies.

 

Il y a aussi un sentiment anti-français croissant au Niger et dans d’autres anciennes colonies françaises en Afrique. Cela s’est traduit par des manifestations de rue sporadiques, certains manifestants détruisant les drapeaux nationaux français tandis que d’autres brandissent les drapeaux russes, dans ce qui est interprété comme un appel au soutien de Moscou.

 

Les chefs de la junte ont déjà rappelé l’ambassadeur du Niger en France et suspendu le contrat d’approvisionnement en uranium du Niger avec la France, tout indique que, comme leurs collègues du Mali et du Burkina Faso, ils penchent vers la Russie, qui a exprimé son opposition à une intervention militaire au Niger. Tchiani aurait en fait eu une conversation téléphonique avec le président russe Vladimir Poutine.

 

Le chef du groupe militaire privé russe, Wagner, a également salué le coup d’État au Niger comme « un développement positif », bien que rien n’indique que le groupe soit prêt à envoyer des soldats au Niger.

 

Pour souligner l’intérêt stratégique du Niger pour ses alliés occidentaux, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a continué de suivre les développements au Niger, louant la CEDEAO et son président actuel, le président nigérian Ahmed Bola Tinubu pour leurs « efforts » au Niger.

 

Paradoxalement, alors que l’Amérique et certains pays occidentaux ont évacué leurs citoyens du Niger, Washington a annoncé son intention d’envoyer son nouvel ambassadeur à Niamey au moment où la CEDEAO menace d’intervenir militairement.

 

Raison de plus pour que la CEDEAO soit bien avisée de continuer à explorer une résolution diplomatique et pacifique de la crise nigérienne, afin d’éviter un retour de bâton dangereux, en particulier au Nigeria, la puissance régionale, et par extension, dans toute la région. De plus, la vie de Bazoum pourrait encore être mise en danger.

 

La junte nigérienne, elle aussi, doit prendre conscience qu’elle ne peut pas affronter la CEDEAO en cas d’option cinétique.

 

Le pronostic s’annonce plutôt sombre pour le président déchu Bazoum et la France, qui perd pied dans ses anciennes colonies, alors même que la Russie poursuit son incursion en Afrique, malgré les craintes pathologiques de l’Occident.

 

La voie à suivre est que Paris revoie sa politique envers l’Afrique, sinon les citoyens semblent déterminés à libérer leur pays de l’influence française étouffante et autoritaire.

 

Même si Bazoum devait échapper à une peine de prison pour trahison présumée, il est peu probable qu’il soit réintégré. Il a apparemment perdu la loyauté des forces armées nigériennes et pourrait payer les relations tendues entre lui et son parrain, Issoufou, en supposant que ses anciens alliés occidentaux n’en ont pas fini non plus avec lui.

 

Lorsque Bazoum a eu l’occasion de s’exprimer depuis la détention de la junte, il a seulement appelé à sa libération et à sa réintégration, sans aucune considération pour les citoyens qui souffrent depuis longtemps, qui subissent le poids des coups d’État et de la mauvaise gouvernance.

 

Sa réintégration ne fera que rendre absurdes les raisons invoquées par la junte pour le coup d’État, de sorte qu’une courte période de transition de six à neuf mois pour l’élection d’un nouveau gouvernement civil semble être la solution la plus probable à la crise nigérienne.

 

La CEDEAO ne doit pas être entraînée dans une guerre par procuration mortelle et risquée.

 

Une leçon majeure du jeu géopolitique au Niger et dans d’autres pays putschistes francophones est que les solutions aux problèmes africains sont en Afrique et que les relations avec les pays étrangers, qu’il s’agisse de l’Amérique et de ses alliés occidentaux, de la Russie, de la Chine ou de tout autre pays d’ailleurs, doit reposer sur des partenariats d’égal à égal avec les intérêts de la majorité des Africains comme priorité.

 

*Paul Ejime est analyste des affaires mondiales et consultant en communication sur la paix et la sécurité et la gouvernance

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