La réponse d’Abuja aux critiques américaines concernant la persécution des chrétiens illustre la manière dont il ne faut pas gérer les relations entre grandes puissances dans un monde multipolaire. La désignation du Nigéria comme « Pays particulièrement préoccupant » (PPP) par le président Trump constitue la première conséquence désastreuse de la réaction théâtrale d’Abuja.
Alors que d’autres nations privilégient le pragmatisme stratégique dans leurs relations avec les grandes puissances, le Nigéria a choisi le mélodrame plutôt que la sagesse, une erreur d’appréciation qui a aujourd’hui des conséquences tangibles.
Cette désignation n’est que le premier coup de semonce d’un isolement diplomatique et économique qui pourrait s’avérer total. Le projet de loi du sénateur Cruz est toujours en cours d’examen au Congrès. Il menace d’imposer des sanctions encore plus sévères, y compris des mesures ciblées contre des responsables nigérians.
Pour un pays dont le pouvoir de négociation est extrêmement limité, la voie choisie par Abuja représente un exemple flagrant de la manière dont il ne faut pas recourir au nationalisme exacerbé dans la gestion des relations avec une superpuissance. La loi sur la responsabilité en matière de liberté religieuse du sénateur Cruz ne révèle que la surface de crises ethniques et religieuses plus profondes au sein du pays.
Ce texte législatif, dont il est le promoteur, bénéficie d’un soutien bipartisan au Congrès et menace de sanctions ciblées les responsables nigérians, tout en imposant un rapport obligatoire au Département d’État. Ces conséquences ont de graves répercussions diplomatiques et économiques, notamment un accès restreint aux marchés et une atteinte à la réputation internationale du pays.
Cruz n’est pas à l’origine de cette crise ; il s’appuie sur des preuves de plus en plus nombreuses provenant de sources faisant autorité. L’Indice mondial du terrorisme classe régulièrement le Nigéria parmi les pays les plus touchés par le terrorisme au monde, le plaçant au 6e rang mondial en 2025 et soulignant sa présence dans le top 10 depuis 2011.
Portes Ouvertes signale que le Nigéria est le pays le plus dangereux au monde pour les chrétiens, avec un nombre de croyants tués chaque année plus élevé qu’ailleurs, principalement en raison des violences djihadistes perpétrées par Boko Haram, l’ISWAP et des militants peuls armés qui ciblent les églises, les communautés rurales et parfois les mosquées.
La pétition déposée auprès de la CPI par l’Initiative pour la promotion des autochtones haoussas détaille un nettoyage ethnique systématique, preuves photographiques et témoignages de survivants à l’appui.
La plainte formelle déposée par Intersociety auprès de la CPI en juin 2023 nommait des responsables et documentait une persécution systématique des chrétiens, faisant état de plus de 31 000 morts depuis 2015.
Amnesty International a également saisi les juges de la CPI concernant des atrocités, renforçant ainsi la crédibilité de la société civile internationale.
Ces initiatives témoignent de la convergence des préoccupations d’organisations internationales diverses et respectées.
En septembre, les premiers signes indiquaient que le Nigéria subissait une pression politique américaine sans précédent, exigeant une diplomatie prudente plutôt qu’une rhétorique belliqueuse.
Lors de son discours à l’Assemblée générale des Nations Unies, le président Trump a explicitement qualifié le christianisme de « religion la plus persécutée au monde », appelant les nations à protéger la liberté religieuse. Ce signal politique clair, aligné sur les convictions de l’électorat évangélique, a contribué à sa réélection.
L’initiative législative de Cruz s’inscrit dans la continuité de cette priorité présidentielle, tandis que 35 responsables chrétiens américains ont interpellé directement Trump au sujet du sort des chrétiens au Nigéria. Il s’agissait d’une mobilisation politique américaine exceptionnelle autour des questions de liberté religieuse, impliquant une action obligatoire du Congrès assortie de conséquences contraignantes, contrairement aux précédentes déclarations diplomatiques dénuées de substance.
Ce changement fondamental et maîtrisé des relations américaines a créé une situation diplomatique extrêmement tendue qu’il était impossible de désamorcer par de simples déclarations patriotiques.
L’approche de l’Inde face à des pressions diplomatiques similaires offre un contraste instructif avec le déni réactif et la posture défensive.
Bien qu’alliée fondatrice de la Russie au sein des BRICS, New Delhi ajuste pragmatiquement sa politique énergétique en réponse aux sanctions américaines, tout en préservant des relations fructueuses avec de nombreuses puissances.
Les raffineurs indiens réduisent leurs importations de pétrole brut russe suite aux pressions américaines, faisant preuve de flexibilité stratégique plutôt que de rigidité idéologique. Récemment, l’Inde a signé un accord de défense de dix ans avec les États-Unis. Il s’agit là d’une diplomatie sophistiquée en action : elle reconnaît les pressions tout en protégeant ses intérêts fondamentaux par des ajustements progressifs plutôt que par une rhétorique conflictuelle. Des relations complexes sont ainsi entretenues grâce à une analyse minutieuse, préservant les options plutôt que d’imposer des choix binaires.
Ce positionnement diplomatique recèle de précieux enseignements.
Plutôt que de s’en prendre au messager et de crier au vent, les architectes de la politique étrangère devraient analyser attentivement les signaux envoyés par l’administration du président Trump.
Ces signaux témoignent d’un engagement américain sérieux, peu susceptible de s’estomper par de simples campagnes sur Twitter. L’Inde démontre que les nations peuvent gérer des pressions contradictoires grâce à un pragmatisme stratégique plutôt qu’à une confrontation théâtrale.
Les dirigeants doivent reconnaître que les préoccupations des investisseurs internationaux concernant la liberté religieuse sont bien réelles et qu’elles sont perçues comme une menace pour la stabilité politique et économique du Nigéria.
Le déni persistant des violences perpétrées contre les groupes ethniques et religieux risque d’accroître l’isolement du pays, alors même que les partenariats internationaux sont essentiels au développement économique.
La solution réside dans la transparence et la franchise avec lesquelles il aborde ces questions.
Tinubu ne peut se permettre de sous-estimer la capacité de Trump, ni celle des États-Unis, à mener des actions concrètes. L’attention portée par Trump à la liberté religieuse reflète également un véritable engagement politique, appuyé par un cadre législatif et un soutien institutionnel, et non une simple posture politique. Les pays du monde entier constatent que son approche allie imprévisibilité et pression stratégique, comme en témoignent les divers engagements internationaux des dix derniers mois.
Compte tenu du faible pouvoir de négociation dans les relations bilatérales, toute supposition quant au soutien du Brésil ou de la Chine en cas de confrontation potentielle avec Washington pourrait s’avérer imprudente, voire dangereuse. La situation exige une action ouverte et transparente pour mettre fin aux massacres et aux persécutions des chrétiens et des minorités ethniques au Nigéria.
Il est impératif de suspendre immédiatement les campagnes incendiaires sur les réseaux sociaux qui nuisent à la position diplomatique du pays. Le gouvernement nigérian doit dialoguer avec les responsables américains par les voies diplomatiques appropriées, en établissant de nouvelles voies crédibles pour démontrer un engagement sincère à remédier aux défaillances sécuritaires.
La situation exige d’affronter la vérité au niveau national et de mener un engagement stratégique à l’étranger ; les dirigeants doivent renoncer à toute posture défensive et reconnaître les préoccupations légitimes tout en protégeant les intérêts nationaux.
La désignation du Nigéria comme pays membre du Parti communiste chinois (PCC) est un indicateur des limites que les États-Unis sont prêts à franchir.
Le monde observe ; les États-Unis sont toujours en pleine mobilisation, et la fenêtre d’opportunité pour un dialogue constructif pourrait se refermer rapidement.
Richard Ikiebe est un consultant en médias et en gestion, enseignant et président du conseil d’administration du journal Businessday.


