Tribune-Banque Mondiale : 3/4 des habitants des pays à faible revenu n’ont toujours pas accès à la protection sociale

Alors que la pauvreté recule lentement à l’échelle mondiale, la protection sociale reste un levier essentiel pour aider les plus vulnérables à devenir autonomes. En effet, des programmes bien conçus peuvent augmenter jusqu’à 45 % les revenus des ménages.

Aujourd’hui, 4,7 milliards de personnes dans les pays à revenu faible et intermédiaire bénéficient d’une couverture sociale. Mais 1,6 milliard n’y ont toujours pas accès. Notre nouveau rapport sur l’état de la protection sociale décrypte les progrès et les défis.

Alors que la réduction de la pauvreté dans le monde régresse, la protection sociale joue un rôle crucial pour aider les individus à mieux subvenir à leurs besoins. La protection sociale ne se limite pas à des aides monétaires ou en nature, comme le versement d’un petit revenu supplémentaire, d’une pension ou la fourniture de nourriture. C’est aussi soutenir les personnes en difficulté par des programmes d’emploi et d’inclusion économique qui les aident à accéder à des opportunités, à de meilleurs emplois ou à accroître leur productivité.

Le Rapport sur l’état de la protection sociale 2025, publié récemment, montre comment les programmes de protection sociale et d’emploi aident déjà les populations des pays en développement à sortir de la pauvreté. Il met en lumière les avancées de la protection sociale et décrit comment l’étendre, pour donner à bien plus de personnes les moyens de leur autonomie.

Le nombre de personnes qui bénéficient d’une couverture sociale a connu une expansion historique. Au cours des dix dernières années, la protection sociale a été étendue à un nombre record de 4,7 milliards de personnes dans les pays à revenu faible et intermédiaire. À l’heure actuelle, trois personnes sur quatre vivent dans des ménages qui bénéficient d’une prestation sociale ou qui y cotisent. Et c’est dans les pays à faible revenu que l’expansion a été la plus forte, avec une multiplication par deux de la couverture.

Au Sahel, par exemple, en cas de sécheresse, les bénéficiaires de filets sociaux n’ont pas à réduire leur consommation de biens essentiels (nourriture notamment), contre une réduction de 24 % des dépenses chez les ménages qui n’en bénéficient pas. Les filets sociaux réduisent également de 25 % la proportion des ménages qui restreignent leurs dépenses de santé et d’éducation.

Les programmes d’inclusion économique consistent quant à eux à apporter un soutien sous la forme d’allocations monétaires, de biens productifs, de formations et d’un accès aux marchés. Ils peuvent permettre d’augmenter jusqu’à 45 % les revenus des ménages ou des entreprises qui en bénéficient.

Il faut cependant aller encore plus loin, car malgré cette augmentation massive de la protection sociale, les progrès restent lents. Le rapport révèle que 1,6 milliard de personnes dans les pays à revenu faible et intermédiaire n’ont accès à aucune forme de filet social, tandis que pour 400 millions d’autres qui bénéficient d’une protection, celle-ci reste bien trop insuffisante. Au rythme actuel, il faudra encore 20 ans pour assurer une protection sociale universelle à la totalité de la population mondiale qui vit dans la pauvreté.

Le rapport préconise trois axes d’action pour accélérer les progrès.

  1. Étendre la couverture. L’enjeu ici ne se résume pas aux ressources financières. Pour étendre la couverture de la protection sociale, il faut mettre en place les infrastructures indispensables au développement de ces programmes, à savoir les bases de données, les systèmes de paiement numérique ou encore les systèmes de gestion des dossiers nécessaires pour identifier les personnes en difficulté et leur apporter un soutien rapide et efficace.

La mise en place de ces systèmes prend du temps. Il a fallu plus d’une décennie pour établir le programme Bolsa Familia au Brésil (en portugais) ou le programme Benazir d’aide aux revenus au Pakistan (a), et ces programmes de grande envergure sont toujours en cours de perfectionnement.

  1. Accroître l’adéquation des aides. Dans de nombreux pays à faible revenu, le montant des prestations sociales est trop faible pour avoir une véritable incidence sur la pauvreté. Les populations pauvres doivent consacrer toute leur énergie à leur subsistance élémentaire et ne peuvent guère faire de projets pour l’avenir.

Outre les transferts monétaires ou en nature, les populations ont besoin d’autres formes de soutien, comme de meilleurs services sociaux pour la prise en charge des violences domestiques ou des troubles de santé mentale. Il est également indispensable de renforcer les aides au travail, de manière à faciliter leur accès à des emplois de meilleure qualité et à leur permettre de gagner en autonomie.

  1. Mettre en place des systèmes de protection sociale réactifs et adaptables en cas de choc. En investissant dans des systèmes de prestation, des mécanismes de financement et des dispositifs de gouvernance réactifs, il est possible d’apporter un soutien rapide et d’assurer la stabilité de l’emploi en cas de crise ou de choc. Ces investissements permettent une extension rapide et efficace des filets sociaux.

Pendant la pandémie de COVID-19, les mesures de protection sociale d’urgence ont bénéficié à 1,7 milliard de personnes (a) dans les pays en développement, démontrant ainsi l’importance de systèmes réactifs aux chocs. Les pays qui disposaient d’une infrastructure sociale solide avant la pandémie ont pu répondre plus efficacement à la crise, ce qui souligne la nécessité d’investissements proactifs dans ce domaine.

S’il ne fait aucun doute que ces mesures nécessiteront des moyens supplémentaires, une meilleure utilisation des ressources existantes peut déjà changer la donne dans de nombreux pays. Une grande partie des allocations monétaires profitent actuellement à la classe moyenne ou aux ménages fortunés. En les réorientant vers les personnes défavorisées, on pourrait obtenir près de la moitié des fonds nécessaires pour assurer une protection sociale aux 20 % les plus pauvres de la population.

La Banque mondiale s’est fixé pour objectif de faire bénéficier 500 millions de personnes supplémentaires d’une protection sociale d’ici 2030, dont la moitié de femmes. Mais nous n’y arriverons pas seuls. Nous devons collaborer avec les gouvernements et nos partenaires de développement pour mobiliser les ressources nécessaires et les gérer judicieusement.

Dans un monde en pleine mutation, le coût de l’inaction ne se limitera pas à des pertes économiques. Il se mesurera aussi en opportunités perdues, creusement des inégalités et fragilité accrue pour les prochaines générations.

Tribune de la Banque Mondiale

Momar Diack SECK
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