Deux interpellations en moins de 24 heures. Deux journalistes, Maïmouna Ndour Faye et Babacar Fall, arrêtés pour avoir diffusé ou préparé des contenus avec Madiambal Diagne, ancien patron de presse aujourd’hui poursuivi par la justice. Ces faits, survenus les 28 et 29 octobre 2023, ne sont pas anecdotiques. Ils marquent une inflexion préoccupante dans notre rapport à la liberté, à la presse, et à l’État de droit.
Le journalisme sous contrainte
Que reproche-t-on à Maïmouna Ndour Faye ? D’avoir envisagé une émission avec un homme sous mandat d’arrêt. Peut-on arrêter une personne sur la base d’une intention ; d’un crime ou délit non encore commis ?
Le journaliste Babacar Fall n’a-t-il pas le droit de diffuser un entretien téléphonique avec une personne, en principe présumée innocente, même sous le coup d’un mandat d’arrêt ?
En somme, on veut interdire aux journalistes de faire leur métier : informer, interroger, éclairer.
Le Sénégal est un État de droit, or dans un État de droit, la liberté de la presse n’est pas une faveur accordée par le pouvoir. C’est un droit fondamental, garanti par notre Constitution, par les conventions internationales que nous avons ratifiées, et par l’éthique démocratique que nous prétendons incarner.
Légalité n’est pas légitimité
Certes, Madiambal Diagne est poursuivi. Mais est-ce un crime de lui parler ? De le questionner ? De diffuser ses propos dans un cadre journalistique ? La réponse, en droit, est non. Et si la justice estime que ces actes entravent une procédure, elle doit le démontrer, dans le respect des garanties procédurales.
Ce qui inquiète ici, ce n’est pas seulement l’acte judiciaire. C’est sa mise en scène : descentes musclées, menottage, garde à vue. Une dramaturgie sécuritaire qui semble viser moins la justice que l’intimidation.
Le glissement autoritaire
Ces interpellations s’inscrivent dans un climat plus large : celui d’un durcissement du pouvoir face aux voix critiques. Elles traduisent une tentation autoritaire, celle de confondre ordre public et contrôle de l’opinion, sécurité judiciaire et silence médiatique.
Mais l’État de droit ne se mesure pas à la force des institutions. Il se mesure à leur capacité à tolérer la contradiction, à encadrer le pouvoir, à protéger les libertés — surtout quand elles dérangent.
Ce que nous risquons
Si nous laissons passer ces dérives sans réagir, nous risquons :
– Une autocensure rampante dans les rédactions.
– Une judiciarisation du débat public.
– Une fragilisation de la démocratie, où la peur remplace le dialogue.
Ce que nous devons défendre
Il est urgent de rappeler que :
– La presse n’est pas l’ennemie de la République, mais l’une de ses vigies.
– Le droit ne doit pas être instrumentalisé pour museler, mais pour garantir.
– Le pluralisme, la nuance, le débat sont les piliers d’une démocratie mature.


