Sénégal–FMI : chronique d’un silence qui interroge Par Hady Traoré -Expert-conseil

On ne tend pas la main quand on est debout. Le Sénégal a fait ce qu’on exigeait de lui : audits, rigueur, discipline. Et voilà que le FMI tergiverse, invoquant une assemblée générale pour différer l’échéance. L’attente a assez duré. Cette chronique dit ce que d’autres taisent : à force de tester la patience des peuples, on réveille leur fierté.

Depuis plusieurs mois, un malaise discret s’installe entre le Sénégal et le Fonds monétaire international. Il ne s’agit ni d’une rupture ouverte, ni d’une crise diplomatique affichée. Mais d’une tension rampante, pesante, presque feutrée. Une lenteur prolongée, qui finit par parler plus fort que les discours officiels. Car quand un pays assume des réformes courageuses, respecte ses engagements et tient ses promesses, il est en droit d’attendre la reciprocite du partenariat.

Là où certains auraient cherché des excuses, le Sénégal a fait face. Sitôt installé, le nouveau gouvernement a pris acte d’un héritage budgétaire chaotique, sans verser dans le discours victimaire. Il a réduit le train de vie de l’État, suspendu les dépenses superflues, recentré les priorités sur le social, et enclenché une dynamique de redressement à la fois ferme et pragmatique.

Les réformes ont été nombreuses : audits des agences et fonds publics, gel des privilèges indus, assainissement de la chaîne de dépense, lutte contre les exonérations abusives, relance de la mobilisation fiscale. C’était un changement de méthode. Et les premiers résultats sont encourageants : les salaires sont versés à temps, les bourses d’étudiants comme celles des familles vulnérables réglées, les fournisseurs largement désintéressés, les investissements structurants mis en orbite.

Mais c’est justement au moment où le Sénégal montre qu’il peut tenir, qu’il se heurte à un mutisme paradoxal. Le FMI, qui aurait dû depuis plusieurs semaines valider la revue de son programme, persiste dans un mutisme lourd de sens. Il se contente d’une approbation feutrée, traduite par un communiqué solennel signé de sa directrice générale, tout en différant sa décision jusqu’à la tenue de l’assemblée générale des actionnaires. Désormais, c’est à la mi-octobre que l’on renvoie le Sénégal, comme si l’exécution d’un engagement international relevait d’une concession gracieusement accordée par le Fonds, et non de l’obligation stricte de respecter sa propre parole.

Ce report n’est pas neutre. Il retarde l’appui budgétaire attendu, freine les décaissements parallèles, bloque la confiance des autres partenaires, et envoie un signal d’ambiguïté au marché. Plus grave encore, il entame la crédibilité du dialogue, car il donne le sentiment que même quand l’Afrique tient parole, elle doit attendre le bon vouloir des organes dirigeants.

Ce qui se joue ici est plus profond qu’un simple retard administratif. C’est une mise à l’épreuve de la cohérence du FMI. Peut-il encore être considéré comme un partenaire fiable s’il peine à valider des progrès qu’il reconnaît pourtant dans ses rapports internes ? Peut-il continuer à inspirer la confiance s’il laisse planer le doute sur les raisons réelles de son attentisme ?

Le Sénégal, de son côté, n’est plus dans une posture d’attente passive : il avance en engageant des réformes structurelles, en procédant aux arbitrages nécessaires et en imposant la reddition des comptes comme principe directeur. La rationalisation des finances publiques s’accompagne d’un refus clair de gouverner par l’excuse, ce qui traduit une volonté politique pleinement assumée de rompre avec les pratiques démagogiques, de restaurer la discipline dans la gestion des affaires de l’État et de garantir la protection effective des priorités sociales. Chaque jour qui passe vient confirmer cette orientation ferme et irréversible.

En prolongeant sans cesse l’échéance, le FMI prend le risque d’ouvrir la voie à d’autres horizons pour le Sénégal. Une telle perspective ne relèverait pas d’une posture idéologique, mais d’une contrainte imposée par la réalité : aucun pays engagé dans des réformes sérieuses ne peut durablement rester prisonnier d’un calendrier qui se dilue à l’infini.

Ce basculement, s’il devait arriver, ne serait pas une défiance. Il serait une conséquence. Il exprimerait une fatigue face à l’ambivalence, une volonté d’élargir les marges de manœuvre, et un appel à une nouvelle géographie du financement du développement. Le monde a changé. Les instruments aussi. Il serait temps que les réflexes suivent.

Ce qui est attendu aujourd’hui, ce n’est pas un chèque, mais une clarté. Une position assumée. Un respect mutuel des engagements. Ce que le Sénégal demande, ce n’est pas une indulgence. C’est la reconnaissance de son effort, de son cap, de sa cohérence. Il ne tend pas la main. Il tend un bilan.

Et ce bilan, il est tenable. Il n’est pas parfait, mais il est déjà plus solide que ce que beaucoup d’autres pays ont présenté. Il repose sur des choix courageux, faits sans filets, sans béquilles, sans discours enjoliveurs. Et cela mérite d’être accompagné, pas laissé en suspens.

La coopération internationale ne peut pas fonctionner à sens unique. Elle suppose de l’anticipation, du respect mutuel, de la lisibilité. Le Sénégal a joué franc jeu. Il a posé ses cartes sur la table. Il ne peut pas rester seul face à des partenaires qui, eux, se contentent de jouer la montre.

Le FMI doit comprendre qu’en 2025, l’Afrique n’attend plus qu’on lui accorde le droit d’exister : elle réclame la reconnaissance pleine de sa parole tenue. Et si la parole du Fonds ne suit pas, alors ce sont ses propres principes qu’il devra interroger.

Ce n’est pas au Sénégal de se justifier davantage. C’est au FMI d’expliquer pourquoi il traîne. Et s’il a des réserves, qu’il les expose. Mais qu’il ne se cache pas derrière des délais qui n’ont plus de fondement technique.

Car ce retard finit par être un message. Et ce message dit ceci : même lorsque vous faites tout ce qu’on exige de vous, rien ne garantit que la parole sera tenue. Ce message est toxique. Il affaiblit la promesse de responsabilité partagée.

Il est encore temps de corriger le tir, de rétablir la confiance, de reconnaître que le Sénégal a tenu ses engagements, et qu’il est en droit de demander que ceux du FMI soient également honorés.

C’est un appel à la clarté. Un rappel de ce qu’est un partenariat : un engagement mutuel, dans un temps raisonnable, avec une parole qui vaut acte.

Le Sénégal ne rompt pas. Il attend. Mais pas indéfiniment. Car dans cette attente, ce n’est pas un gouvernement qu’on teste. C’est la patience d’un peuple, la cohérence d’une trajectoire, et la détermination d’une souveraineté nouvelle.

Et cela, ni un rapport, ni une assemblée d’actionnaires, ne pourra l’effacer.

Ce n’est pas un hasard si ce silence du FMI intervient à un moment où le Sénégal affirme son autonomie stratégique dans ses choix économiques. L’ajustement structurel n’est plus la seule voie ; les partenariats se diversifient, les équilibres géopolitiques évoluent. Le mutisme du Fonds peut être lu comme une crispation face à une Afrique qui ne se contente plus d’exécuter, mais propose, arbitre et assume.

En laissant planer l’incertitude, le FMI affaiblit aussi ses propres relais sur le continent. Car les opinions publiques s’informent, s’indignent et s’expriment. Le temps où l’institution pouvait influer sur les trajectoires nationales sans être interrogée est révolu. Aujourd’hui, chaque décision, chaque retard, chaque omission est décortiquée, questionnée, et suscite une réponse citoyenne.

Il est important de rappeler que le respect des engagements ne peut être à géométrie variable. Le Sénégal n’a pas demandé de traitement de faveur, mais d’être jugé sur ses actes. Or, à ce jour, aucune défaillance structurelle n’a été pointée par le FMI. Aucun dérapage budgétaire n’a été identifié. Pourquoi alors tergiverser, sinon pour ménager des agendas politiques ailleurs ?

L’enjeu dépasse donc les décaissements. Il interroge l’architecture même de la gouvernance financière mondiale. Si les règles du jeu ne s’appliquent pas avec équité, si les pays vertueux sont traités avec la même réserve que les dissimulateurs, alors la promesse de transparence s’effondre. Le Sénégal, dans ce contexte, devient un test grandeur nature de cette cohérence mondiale.

Enfin, il est temps d’assumer que l’Afrique a changé. Elle regarde le monde en face, forte de ses défis, mais aussi de ses ambitions. Elle n’est pas une exception à gérer, mais une partie prenante du débat global. En différant sans raison valable, le FMI ne retarde pas seulement un décaissement : il compromet une relation et avec elle, une crédibilité construite sur des décennies.

Hady Traoré

Expert-conseil

Gestion stratégique et Politique Publique-Canada

Fondateur du Think Tank : Ruptures et Perspectives

hadytraore@hotmail.com

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