Avec l’avènement des « libéraux » au pouvoir dans les années 2000, l’administration sénégalaise a été soumise à une déconstruction méthodique. Sous le prétexte d’une centralité jugée inefficace, on a assisté à une prolifération d’entités du secteur parapublic, à une fragmentation des responsabilités, et à un affaiblissement progressif de tous les organes de contrôle de l’Etat. Ce processus, présenté comme une modernisation, a en réalité sapé les fondements de la gouvernance publique.
Plus de vingt années de dérèglement institutionnel, c’est une génération entière de fonctionnaires a exercé dans un système où l’exception est devenue la norme. Où les règles sont contournées, les responsabilités diluées, et les valeurs républicaines reléguées au second plan. Le plus grave n’est pas seulement structurel il est mental. L’anomalie s’est enracinée dans les esprits, dans les pratiques, dans les réflexes. C’est là que doit commencer la réforme.
Reconstruire ne se limitera pas à rebâtir des organigrammes ou à réécrire des textes. Il s’agit d’un chantier de civilisation. Il faudra peut-être soixante ans pour restaurer ce qui a été détruit en vingt. Car il ne s’agit pas seulement de réparer : il faut réhabiliter la conscience citoyenne, réenchanter l’idée même de l’État, et redonner sens à l’action publique.
Le scandale des dettes cachées et les dossiers sous le coude en sont une illustration tragique. Fruit direct de cette déconstruction, il révèle ce que produit un système sans verrous, sans contrôle, sans transparence. Lorsque tous les garde-fous sont détruits, l’enrichissement personnel devient possible en toute impunité. Ce n’est pas un accident : c’est la conséquence logique d’un affaiblissement institutionnel prolongé. Le Sénégal n’a d’autre choix que de réinventer son secteur parapublic, de le refonder sur des principes de rigueur, de redevabilité et de souveraineté.
Cette reconstruction exige des bâtisseurs de sens, des architectes de la mémoire, des artisans de la souveraineté. Elle appelle à une refondation des mentalités, à une transmission des valeurs, et à une réhabilitation des pionniers. Elle doit être portée par une vision, une pédagogie, et une mobilisation collective.
La réforme ne se décrète pas, elle s’incarne. Elle se transmet par l’exemple, par l’éducation, par la parole publique. Elle se nourrit de vérité, de courage, et de mémoire. C’est un travail de fond, patient, exigeant. Un travail qui commence dans les écoles, se prolonge dans les institutions, et s’ancre dans les récits que nous choisissons de porter.
Nous devons réhabiliter les corps de contrôle, redonner sens à la planification, et restaurer la dignité du service public. Mais surtout, nous devons réapprendre à croire en nos institutions, à les défendre, à les incarner.
Il est temps d’ouvrir ce chantier. Avec lucidité, avec humilité, mais aussi avec détermination. Car si l’anormalité s’est installée, elle n’est pas irréversible. Il nous revient de rétablir les fondamentaux, de réhabiliter les repères, et de transmettre à la génération suivante une administration digne, performante et souveraine.
Le Président de la République est aujourd’hui dans d’excellentes dispositions. Il manifeste une volonté affirmée de redresser les trajectoires, de restaurer les équilibres, et de préparer l’avenir. Cette posture mérite d’être accompagnée non pas par des applaudissements passagers, mais par un engagement lucide, exigeant et durable.
Car il faut de la patience. Le temps de la reconstruction est toujours plus long que le temps de la destruction. Défaire les structures prend quelques années ; refonder les mentalités, les institutions et les pratiques exige des décennies. C’est un travail de génération. Un travail de transmission. Un travail de vérité.
Accompagner le chef de l’État dans cette dynamique, c’est aussi poser les jalons d’un secteur parapublic réinventé, d’une administration réhabilitée, et d’une souveraineté consolidée. C’est choisir l’avenir, en pleine conscience du passé.
Lansana Gagny Sakho
Président du Cercle des Administrateurs Publics


