La récente décision rendue par la première chambre administrative de la Cour suprême du Sénégal, annulant l’arrêté du Ministre de la Santé portant nomination du Directeur du Centre Talibou Dabo, n’est pas qu’une banale actualité juridique. Elle est un acte fort de réaffirmation de l’État de droit, une leçon de droit public, et, surtout, un revers cinglant pour le régime en place, qui semble parfois confondre volonté politique et pouvoir juridique.
Les faits
Le 1er août 2024, le ministère de la Santé a cru bon de désigner un nouveau Directeur à la tête du Centre Talibou Dabo, évinçant M. Lassana Sidibé, pourtant nommé par décret présidentiel en 2019. En lieu et place de la procédure normale, le ministère a usé d’un simple arrêté, en violation flagrante des règles les plus élémentaires de notre droit constitutionnel.
Mais, la Cour suprême, gardienne des règles de la République, est intervenue. Elle a dit le droit. Et sa sentence est sans appel : incompétence du ministre, vice de forme, violation du principe du parallélisme des formes. En résumé, abus de pouvoir administratif. Le juge administratif a ainsi invalidé l’acte du ministère, rétablissant M. Sidibé dans ses droits.
Une République qui oublie ses propres lois
Ce qui est en jeu ici dépasse largement une simple nomination. Ce qui vacille, c’est la rigueur de l’État, la lisibilité de la chaîne de commandement, et le respect de la hiérarchie des normes. Dans un Sénégal où la nouvelle équipe dirigeante prône la refondation, la rupture et le retour à une gouvernance vertueuse, comment expliquer une telle erreur institutionnelle ? Est-ce de la précipitation ? De l’amateurisme ? Ou un signal plus inquiétant d’un pouvoir qui commence à croire qu’il peut tout se permettre, même contre la Constitution ?
Un signal fort pour l’administration
La décision rendue est aussi un avertissement clair aux ministres, aux directeurs généraux et aux cabinets politiques : l’administration d’un État ne se gouverne pas par caprice. Nul ne peut défaire un décret présidentiel par simple arrêté ministériel. Le droit administratif sénégalais ne permet pas l’arbitraire, même s’il est enveloppé de bonnes intentions.
Le droit, seul rempart contre les dérives
Il faut saluer le courage de Lassana Sidibé, qui, au lieu de se résigner, a saisi la justice. Il faut aussi saluer une Cour suprême qui, loin des pressions politiques, joue pleinement son rôle de contre-pouvoir. À l’heure où le Sénégal se veut modèle démocratique en Afrique, ce genre de rappel à l’ordre est salvateur.
Le gouvernement, pour sa part, doit retenir la leçon, renforcer sa culture juridique, et cesser de confondre autorité et autoritarisme. Le pouvoir exécutif ne peut fonctionner au mépris de la légalité. C’est une question de cohérence. C’est une question de crédibilité. C’est une question de République.
La République ne se réforme pas dans le désordre
La réforme de l’État, prônée par le régime actuel, ne pourra réussir que si elle respecte scrupuleusement les règles qui fondent l’État de droit. Sinon, elle ne sera qu’un changement de façade, une alternance sans alternance juridique, un pouvoir nouveau avec les vieilles pratiques.
La Justice vient de rappeler une vérité simple : nul n’est au-dessus de la loi, pas même un ministre. C’est cela, le véritable socle d’une République solide.
BBF