Au Sénégal, qui occupe une position géostratégique de premier plan, il était évident que la tâche du camp patriotique ne serait pas du tout aisée, d’autant que l’expansion des positions souverainistes, panafricanistes et anti-impérialistes, dans la sous-région ouest-africaine, en jonction avec les pays frères de l’AES, pourrait constituer le prélude de l’éradication du néocolonialisme sur le continent africain.
C’est ce qui explique la violente répression et la diabolisation extrême, qui se sont abattues sur le PASTEF, entre 2021 et 2024, qui n’ont pas réussi à le neutraliser. Bien au contraire, la cristallisation extrême des antagonismes politiques a bénéficié au PASTEF, qui a engrangé deux brillantes victoires électorales (avec près de 54% des voix, à chaque fois).
On ne peut comprendre l’irruption du PASTEF sur la scène politique nationale, qu’au regard de la profonde lame de fond, déjà perceptible lors du printemps arabe en 2010-2011 et qui, depuis lors, balaie plusieurs Nations en Afrique jusqu’à Madagascar, au Maroc et s’étend maintenant jusqu’en Asie (Népal, Philippines…). Ses thèmes de mobilisation s’articulent autour de la lutte pour la souveraineté nationale, la justice sociale et contre la corruption, les inégalités sociales, le chômage, la vie chère et le manque d’accès aux services publics (santé, éducation…).
Si ces mouvements, qui revêtent des caractères spécifiques dans chaque pays, ont largement démontré leur capacité à abattre les pouvoirs politiques inféodés à l’Occident (par coup d’Etat, par voie insurrectionnelle ou par la voie des urnes), ils rencontrent d’énormes difficultés à maintenir la stabilité politique dans les espaces conquis.
Plusieurs raisons expliquent cet état de fait, dont la moindre n’est pas la subversion multiforme, dont les nouveaux régimes sont victimes, qu’il s’agisse de mouvements terroristes inspirés et/ou soutenus par l’Occident, souvent de manière occulte ou d’asphyxie financière / économique avec la complicité des officines financières internationales et des agences de notation.
Vingt mois après son accession au pouvoir, le régime de PASTEF vit sa première crise politique, à cause, non seulement de l’énorme pression, qu’une opposition milliardaire alliée aux ténors de la Françafrique, continue d’exercer sur lui, du lourd passif hérité du régime de Benno Bokk Yakaar, mais aussi du fait que les leçons institutionnelles adéquates n’ont pas été tirées des remarquables victoires politiques.
Il y aura pourtant eu des alertes de la part de « vieux patriotes », qui depuis des décennies se battent pour un Sénégal souverain et indépendant doté d’institutions indépendantes et équilibrées. Des appels n’ont pas manqué pour renouer avec la dynamique de refondation institutionnelle initiée par les Assises nationales poursuivie par la Commission Nationale de Réforme des Institutions et récemment réactualisée par le pacte de bonne gouvernance démocratique, autant de processus, auxquels les principaux dirigeants de PASTEF, ont participé, en tant que syndicalistes puis comme politiques.
Mais, à l’instar des gouvernements libéraux, qui l’ont précédé, le régime PASTEF sous-estime l’importance des questions institutionnelles, préférant des approches technocratiques, plus centrées sur les questions économiques, sans vision politique claire, ni idéologie précise.
Pendant que des référentiels pertinents et ambitieux de politiques publiques étaient élaborés bientôt suivis de plans de redressement économique, on ne se préoccupait nullement de l’armature institutionnelle ni de l’urgente nécessité d’édification d’une nouvelle République.
Si Macky Sall et ses « spin-doctors » n’ont pu empêcher la victoire électorale de PASTEF à l’élection présidentielle du 24 mars 2024, ils auront quand même réussi à bloquer la candidature d’Ousmane Sonko, leader naturel de la mouvance souverainiste et patriotique, remplacé au pied levé par son bras droit et néanmoins ami, Bassirou Diomaye Faye. Cela a induit une première vulnérabilité pour le nouveau régime, sous la forme d’un leadership éclaté, dans un contexte d’hyper-présidentialisme outrancier.
D’autres fragilités ont été notées. Il s’agit de la personnalisation excessive du pouvoir au sein de la galaxie PASTEF, sacralisant quasiment la parole du guide « éclairé » et accordant peu de considération aux délibérations d’instances. Ces travers découlent de l’insuffisance voire de l’absence d’une véritable structuration du parti des patriotes. Il y a également un hiatus entre les ambitions « révolutionnaires » du PASTEF et ses préoccupations excessivement centrées sur l’électoralisme, comme l’illustre le malentendu sur la Coalition « Diomaye Président », qui a mis le feu aux poudres. Last, but not least, la politique d’alliances du PASTEF, nécessaire pour élargir la base sociale de leur régime, est viciée par le fait qu’elle ignore les couches laborieuses ainsi que leurs leaders naturels et privilégie des opérateurs politiques ayant fait les beaux jours du « système honni » et dont certains peuvent être qualifiés de transhumants, car ayant milité dans plusieurs formations politiques.
Comble d’ironie, la crise actuelle est née des bisbilles entre une égérie de Me Wade et une inspiratrice de Macky Sall !
Il est bon de rappeler que le modèle de gouvernance senghorien, vicié par essence et entré en vigueur, après la crise de 1962, continue de perdurer, alors qu’il a conduit les différents régimes, qui se sont succédé dans notre pays depuis 1960, à l’impasse.
C’est le moment de se demander, ce qui a été fait depuis le 24 mars 2024 pour arrimer les institutions sénégalaises aux exigences de souveraineté, de justice sociale et de participation citoyenne ?
Les nouveaux décideurs devraient méditer sur une refondation institutionnelle, qui mène à un rééquilibrage en faveur du Parlement, pas seulement à cause des contradictions actuelles entre les deux pôles de l’Exécutif, mais parce que même en cas d’apaisement de la crise actuelle, il y a des risques de confirmation du système hyper-présidentiel, rendu plus efficace par la super-majorité législative du PASTEF.
En laissant l’armature institutionnelle du système néocolonial intacte et en privilégiant l’atteinte de résultats politiciens et électoraux à court et moyen terme sur des ruptures profondes du mode de gestion politique des politiques publiques, le nouveau régime patriotique s’est enlisé dans les marécages pestilentiels des politiciens libéraux.
L’Opposition milliardaire s’est évertuée à empêcher un débat politique serein, occultant la responsabilité écrasante du précédent régime dans la situation économique désastreuse du pays et cherchant à présenter des délinquants (à col blanc) comme de prétendus détenus politiques.
Il s’agit, plus que jamais, de miser sur la refondation institutionnelle et la promotion des droits et libertés des citoyens, dans l’esprit des Assises Nationales.
Nioxor Tine


