Plaidoyer pour un consommer local : plus qu’un choix économique, une question de dignité nationale ! Par Souleymane Jules Sène

Il y a quelques jours, j’étais dans un supermarché de Dakar. Devant le rayon des huiles, une dame hésitait entre une bouteille d’huile d’arachide importée et une autre, produite à Kaolack. Elle a fini par prendre l’importée. « C’est moins cher », m’a-t-elle dit avec un sourire gêné, presque coupable.

Cette scène anodine résume notre drame national, nous avons perdu confiance en ce que nous produisons. Pire encore, nous avons laissé notre marché devenir une jungle où seul le prix compte, où la logique du gain immédiat écrase tout le reste.

Pourtant, de la Vallée du Fleuve à la Casamance, du Sine-Saloum aux Niayes, des femmes et des hommes travaillent chaque jour pour nourrir ce pays. Ils transforment notre riz, pressent nos fruits, raffinent nos huiles, créent des cosmétiques naturels d’une qualité remarquable. Mais leurs produits restent invisibles, relégués au fond des rayons quand ils ne sont pas tout simplement absents.

Quand le marché devient une jungle

Soyons honnêtes, sans régulation sérieuse du marché, aucune politique de consommation locale ne peut réussir. C’est la dure vérité que nous devons regarder en face.

Trop souvent, nos acteurs économiques commerçants, importateurs, distributeurs abandonnent toute fibre patriotique pour se concentrer uniquement sur leurs marges. Je ne les juge pas individuellement. C’est le système qui est malade. Un système où il est plus rentable d’importer que de soutenir nos producteurs. Un système où la spéculation fait grimper artificiellement les prix des denrées que nous cultivons. Un système où les grandes surfaces préfèrent remplir leurs rayons de produits étrangers plutôt que de faire l’effort de référencer nos marques locales.

Le résultat : une économie qui tourne à vide, des producteurs découragés qui abandonnent leurs champs, des jeunes qui fuient vers les villes ou l’émigration, et nous tous, consommateurs, pris en otage entre prix prohibitifs et qualité douteuse.

Un marché sans règles, c’est une jungle. Et dans une jungle, seuls les plus forts survivent rarement au bénéfice du plus grand nombre.

Réguler n’est pas brider, c’est protéger

Il faut le dire clairement, nous avons besoin d’un État régulateur, ferme et présent. Pas un État qui étouffe l’initiative privée, mais un État qui pose les règles du jeu pour que la compétition soit équitable. Concrètement, cela signifie contrôler les importations massives qui tuent notre production locale. Pourquoi inonder nos marchés de riz asiatique quand nos rizières de la Vallée peuvent nourrir le pays ? Pourquoi laisser entrer des oignons étrangers quand Potou produit parmi les meilleurs du continent ? Certains me diront que ces quantités produites ne peuvent nourrir ce pays , ils ont certes raison , mais que faut il faire pour en arriver la , quelle politique l’Etat est appelé à prévoir dans un court et long terme ?

Cela signifie aussi encadrer les prix. Fixer des prix planchers pour que nos producteurs ne vendent pas à perte, et des prix plafonds pour que les consommateurs ne soient pas étranglés par la spéculation. Cela signifie sanctionner vraiment sanctionner ceux qui s’enrichissent sur le dos de la faim du peuple.

Cela signifie enfin imposer des quotas, que les grandes surfaces, les hôtels, les restaurants réservent au moins 30% de leurs achats aux produits locaux transformés. Ce n’est pas une contrainte, c’est une obligation patriotique. C’est le minimum pour qu’une économie nationale existe vraiment.

Nous avons besoin d’une autorité de régulation du marché agroalimentaire, indépendante et dotée de vrais moyens. Un arbitre capable de surveiller, contrôler et sanctionner. Sans cela, nous continuerons à tourner en rond.

Faire du « Made in Sénégal » une fierté, pas une excuse

Mais réguler ne suffit pas. Il faut aussi donner envie. Donner envie d’acheter sénégalais, non par charité, mais par choix. Parce que c’est bon, beau, moderne, désirable.

Assez de voir nos produits dans des emballages tristounets, mal finis, comme s’ils s’excusaient d’exister. Nos producteurs méritent mieux. Nos consommateurs méritent mieux. Le Sénégal mérite mieux.

Investissons dans le design, dans le packaging, dans le storytelling. Que chaque produit raconte une histoire : celle du paysan de Richard-Toll, de la transformatrice de Kolda, du jeune entrepreneur de Thiès. Créons des labels qui font rêver : « Or de la Vallée », « Saveurs Casamançaises », « Terroir du Sine ». Faisons du Made in Sénégal non pas un argument de second choix, mais une marque de prestige.

J’imagine des rayons dédiés dans nos supermarchés, mis en lumière comme on met en valeur les grands crus. J’imagine des campagnes publicitaires où nos artistes, nos influenceurs, nos leaders d’opinion affirment : « Je consomme sénégalais et j’en suis fier. » J’imagine des festivals de terroir, des routes des saveurs, où le touriste comme le Dakarois découvrent la richesse de nos régions.

Le marketing territorial, c’est ça : transformer notre pays en une marque attractive, où chaque produit devient un ambassadeur de notre culture et de notre savoir-faire.

L’urgence d’un sursaut collectif

Ce combat n’est pas celui de l’État seul. C’est le nôtre, à tous.

Aux élus locaux, organisez des marchés de producteurs, soutenez vos coopératives, faites de vos terroirs des marques de fierté.

Aux commerçants et distributeurs, jouez le jeu du patriotisme économique. Oui, l’importé peut sembler plus facile, mais à quel prix pour notre avenir commun ?

Aux médias et influenceurs, racontez les success stories, célébrez nos entrepreneurs, montrez que consommer local, c’est tendance, moderne, intelligent.

Aux banques,  financez nos petites entreprises, croyez en nos projets locaux, investissez dans la transformation agricole.

Et à nous, consommateurs, chaque achat est un vote. Chaque produit local choisi est un emploi créé, une famille nourrie, une économie renforcée. Nous avons ce pouvoir.

Un choix de civilisation

Consommer local, ce n’est pas se replier sur soi. Ce n’est pas refuser la mondialisation. C’est y entrer debout, avec nos forces, nos richesses, notre identité.

C’est refuser d’être éternellement des consommateurs de ce que les autres produisent. C’est décider de créer de la valeur ici, de garder la richesse ici, de construire l’avenir ici.

Cette dame que j’ai croisée au supermarché mérite de pouvoir choisir l’huile de Kaolack sans qu’elle coûte plus cher. Elle mérite de la trouver dans un beau flacon, avec une étiquette qui inspire confiance. Elle mérite de savoir qu’en l’achetant, elle soutient une coopérative de femmes, elle contribue au développement de sa région, elle participe à la souveraineté de son pays.

Nous le méritons tous.

Le Sénégal regorge de talents. Nos terres sont fertiles. Nos transformateurs sont compétents. Nos jeunes débordent d’idées. Il ne manque qu’une chose : une volonté politique ferme de réguler ce marché chaotique et un engagement collectif de croire en nous-mêmes.

Faisons du « Made in Sénégal » non pas un slogan creux, mais une réalité quotidienne. Un label de qualité. Une source de fierté. Un projet de société.

Saphiétou Mbengue
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