Mobile money au Sénégal : du populisme à la réflexion critique Par Dr Abdourahmane Ba

La taxation du mobile money, votée à l’Assemblée nationale, ressemble moins à une réforme qu’à un aveu de faiblesse. Elle traduit la fébrilité d’un gouvernement qui, englué dans l’urgence budgétaire, choisit de frapper là où il croit voir une manne visible plutôt que de reconstruire une stratégie fiscale cohérente.

Dans un pays où l’inclusion financière a fait plus pour la citoyenneté économique que bien des programmes publics, le choix d’alourdir les transactions électroniques sonne comme une trahison de la promesse de modernisation.

Il fallait du courage pour reconnaître que l’argent mobile est un pilier de l’économie populaire, un levier de résilience et un outil de formalisation de l’informel. Il fallait aussi de la lucidité pour voir que taxer ce flux, même faiblement, équivaut à freiner l’un des rares moteurs de confiance entre l’État et les citoyens. En préférant la facilité comptable, le gouvernement s’est inscrit dans une logique populiste : sacrifier le long terme pour donner l’illusion d’une solution immédiate.

L’histoire récente des voisins est pourtant limpide. Le Ghana a vu son e-levy s’effondrer sous le poids du rejet social et de l’évitement massif. L’Ouganda a dû reculer précipitamment face à l’exode des usagers. La Tanzanie a supprimé une taxe qui tuait la dynamique numérique.

Dans chaque cas, l’entêtement populiste s’est heurté à la réalité des comportements, et les recettes promises se sont envolées. Reprendre la même voie en espérant un résultat différent relève moins de l’ignorance que du déni stratégique.

Le populisme fiscal a ses ruses : il proclame l’équité alors qu’il frappe les plus pauvres ; il invoque la justice alors qu’il élargit les inégalités ; il se pare de patriotisme alors qu’il mine la confiance. La vérité est que cette taxe pèsera sur les transferts familiaux, sur les micro-paiements des commerçants, sur les retraits en zone rurale. Elle n’intègrera pas l’informel dans le formel : elle le repoussera dans l’ombre du cash. Elle n’élargira pas l’assiette : elle la contractera en tuant la transparence des flux.

Un État stratège aurait choisi un autre chemin. Il aurait ciblé les profits des opérateurs plutôt que les gestes quotidiens des citoyens. Il aurait transformé le mobile money en passerelle pour élargir l’impôt sur les revenus et les bénéfices, plutôt que de ponctionner les solidarités familiales. Il aurait osé pénaliser le cash de gros montant pour encourager la digitalisation, plutôt que de punir l’innovation. Bref, il aurait pensé politique économique, et non comptabilité de crise.

L’évaluation des politiques publiques devait être le garde-fou. Elle aurait montré que l’élasticité des usages rend le rendement illusoire, que la régressivité sociale fragilise la légitimité, que l’effet macroéconomique risque de ralentir la croissance. Mais là encore, l’urgence a écrasé l’analyse. On a préféré promulguer d’abord et mesurer ensuite, quitte à improviser des correctifs dans la tourmente. C’est ainsi que les gouvernements populistes transforment les instruments de modernisation en armes contre eux-mêmes.

Le Sénégal mérite mieux qu’une taxe bricolée. Il mérite une vision de souveraineté fiscale qui associe inclusion, innovation et confiance. L’argent mobile est une infrastructure sociale autant qu’un outil financier : y toucher sans précaution revient à fragiliser le contrat social.

Ce n’est pas un hasard si ailleurs, ces taxes sont devenues des symboles d’échec politique. Elles rappellent que l’on ne gouverne pas une société numérique avec des réflexes d’ancien régime.

La fiscalité numérique peut être un levier d’avenir si elle s’inscrit dans une architecture cohérente : transparence sur l’usage des fonds, adaptation progressive des assiettes, concertation avec les acteurs, articulation avec les stratégies régionales de la BCEAO. Mais en faire un impôt punitif et visible sur chaque transaction, c’est transformer un atout national en source de ressentiment. Ce choix n’élargit pas la souveraineté, il l’ampute.

En vérité, la taxe sur le mobile money n’est pas un outil de justice, mais un symptôme. Elle révèle un pouvoir prisonnier de l’immédiat, incapable de penser le long terme, prompt à céder à la facilité populiste plutôt qu’à l’exigence stratégique. Elle dit moins l’ambition de réformer que la difficulté à gouverner dans un moment de crise. Et c’est là le vrai problème : une politique publique qui renonce à penser grand pour survivre petit.

Le Sénégal devait savoir que la fiscalité transactionnelle est un piège. Il devait noter que l’inclusion financière est trop précieuse pour être sacrifiée. Il devait comprendre que la confiance ne se décrète pas, elle se construit. Il devait faire le choix de l’évaluation, de la concertation et de la stratégie, plutôt que celui de la précipitation. Ce qu’il a choisi au contraire, c’est de céder à la tentation populiste, au risque de compromettre un acquis majeur de la transformation économique.

L’avenir dira si la société sénégalaise acceptera ce fardeau ou si, comme ailleurs, elle trouvera des chemins d’évitement et de contestation. Mais une chose est certaine : en matière de gouvernance numérique, le Sénégal ne peut se permettre de répéter les erreurs de ses voisins. Il lui faudra tôt ou tard passer du populisme à la réflexion critique, et redonner à l’évaluation des politiques publiques la place qu’elle mérite.

 

Dr Abdourahmane Ba

Expert en Développement International, Management, Évaluation des Politiques Publiques

Dieyna SENE
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