Misreporting De La Dette : Les Institutions Financières Hors De Cause Par Pr Amath Ndiaye FASEG-UCAD

Le débat sur un possible misreporting — une sous-déclaration ou une présentation inexacte de la dette publique — invite à clarifier les rôles des institutions impliquées.

Il faut rappeler que ni la BCEAO, ni l’ANSD, ni le FMI ne peuvent être considérées comme responsables ou complices.

La responsabilité d’un tel écart incombe exclusivement à l’administration nationale chargée des finances publiques.

 

 L’ANSD ne gère pas la dette

 

L’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) n’a pas pour mission de comptabiliser la dette.

Elle produit les comptes nationaux et les statistiques économiques et sociales à partir des données fournies par les ministères et organismes publics.

Les chiffres relatifs à la dette sont établis par le ministère des Finances, via la Direction de la Dette publique (DDP), qui en assure la gestion et le suivi.

L’ANSD n’intervient qu’en aval pour intégrer ces données dans les comptes macroéconomiques.

 

 La DDP et la DODP au cœur du dispositif national de la dette

La Direction de la Dette publique (DDP) et la Direction de la Dette et des Opérations Financières (DODP) constituent les piliers techniques de la gestion de la dette de l’État du Sénégal.

Elles sont placées sous la tutelle du ministère des Finances et du Budget, et leurs missions couvrent l’ensemble du cycle de la dette :

Identification des besoins d’emprunt et préparation des stratégies d’endettement à moyen terme ;

Négociation, enregistrement et suivi des emprunts contractés auprès des bailleurs bilatéraux, multilatéraux et sur le marché régional ;

Gestion du service de la dette (remboursements, intérêts, commissions) et tenue du registre national de la dette ;

Production et transmission des données officielles à la BCEAO, au FMI, à la Banque mondiale et à l’ANSD.

 

La Direction de la Dette (DOD), pour sa part, assure la coordination opérationnelle entre les différentes entités financières de l’État et veille à la conformité comptable et statistique des informations déclarées.

C’est donc à l’intérieur de ce périmètre administratif — DDP, DODP, DOD — que se situe l’origine et la fiabilité de l’information sur la dette publique.

Ce sont ces structures qui garantissent la cohérence entre les données nationales et celles transmises aux partenaires techniques et financiers.

En cas de misreporting, c’est donc au niveau de ce noyau administratif que peuvent se produire les erreurs, omissions ou retards de transmission, jamais au niveau des institutions financières régionales ou internationales.

 La BCEAO : superviseur, non gestionnaire de la dette

La Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) veille à la stabilité monétaire et supervise le marché financier régional UMOA-Titres, ainsi que les crédits bancaires accordés aux États.

Mais elle n’est pas gestionnaire de la dette souveraine : elle ne tient ni la comptabilité ni l’évaluation du stock de dette.

La BCEAO voit transiter sur ses livres les flux financiers de l’État en provenance de l’extérieur — qu’il s’agisse d’aides, de dons, d’emprunts ou d’autres ressources — sans toujours en connaître la nature exacte.

C’est pourquoi elle dépend des informations détaillées du ministère des Finances pour identifier l’origine et l’affectation de ces flux.

Ces données lui permettent d’établir la balance des paiements du Sénégal et de consolider les statistiques macroéconomiques régionales.

La BCEAO connaît ainsi les flux annuels de dette (emprunts et remboursements sur un exercice budgétaire), mais ne dispose pas d’une visibilité complète sur le stock pluriannuel, qui intègre les intérêts, commissions et arriérés.

L’encours de la dette, résultant de cette accumulation, relève exclusivement du gouvernement du Sénégal, seul habilité à en déclarer le montant exact.

Le FMI : vérificateur, pas producteur de données

Le Fonds monétaire international (FMI) n’élabore pas les données macroéconomiques : il les utilise et les vérifie dans le cadre de ses programmes.

Les chiffres proviennent des autorités nationales et sont soumis à des contrôles techniques.

Lorsqu’un misreporting est constaté, cela signifie qu’un pays a fourni des informations inexactes ou incomplètes, non que le FMI ait failli à sa mission.

Le Fonds diligente alors des audits indépendants et ajuste, si nécessaire, les programmes en cours.

 Des précédents sur le continent

Le misreporting n’est pas propre au Sénégal.

Plusieurs pays africains ont connu des cas similaires :

Mozambique (2016) : 1,4 milliard $ de dettes garanties par l’État non déclarées au FMI, entraînant une suspension de l’aide internationale.

Ghana (2002 et 2019) : erreurs de classification et sous-évaluation du déficit lors de programmes d’appui du FMI.

Zambie (2018) : omission de dettes contractées par des agences publiques, déclenchant un audit préalable au programme d’aide.

Congo-Brazzaville (2017) : 2 milliards $ de dettes pétrolières non déclarées, ce qui a bloqué les négociations avec le FMI.

Ces épisodes révèlent que le misreporting découle moins d’une fraude que d’une désorganisation administrative ou d’une pression politique visant à préserver une image de soutenabilité budgétaire.

 Conclusion : la transparence, condition de souveraineté

Le misreporting est un signal d’alerte institutionnel.

Il rappelle que la souveraineté  ne réside pas seulement dans la capacité d’emprunter, mais dans celle de mesurer, suivre et déclarer fidèlement ses engagements.

Dans une économie ouverte où la confiance des bailleurs et des marchés est déterminante, la transparence devient une ressource stratégique.

Ni la BCEAO, ni le FMI, ni l’ANSD ne sont en cause.

Le véritable enjeu réside dans la maîtrise nationale de l’information financière et dans la consolidation du dispositif interne — DDP, DODP et DOD — garantissant la fiabilité, la traçabilité et la transparence de la dette publique du Sénégal.

 

Pr Amath Ndiaye

FASEG-UCAD

 

Dieyna SENE
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