Manifeste Pour Reverdir Nos Villes : Le droit à l’ombre, à la beauté, à la respiration Par Oumar Ba Urbaniste

  1. L’arbre, cet orphelin de la République urbaine

Il n’a pas de voix. Il ne vote pas. Il ne proteste pas. Mais il manque. L’arbre urbain est orphelin. Écartelé, ignoré, sacrifié. Cet être si charmant et utile est écartelé entre cinq institutions qui n’en font jamais une (vraie) priorité :

– Le ministère de l’Urbanisme qui dessine des villes mais ne lui donne aucun droit de cité dans les plans directeurs.

– Le ministère de l’Environnement qui le sanctifie dans les discours, mais le néglige dans l’espace urbain.

– Le ministère des Infrastructures qui bitume sans planter, qui trace sans faire place à l’ombre.

– Les Collectivités territoriales, démunies ou indifférentes, qui n’ont souvent ni budget ni stratégie locale verte.

L’Éducation nationale qui forme encore des enfants sans leur apprendre à planter, protéger, comprendre et aimer un arbre.

 

Souvent, après la traditionnelle Journée nationale de l’Arbre, après les beaux discours officiels, après les gestes symboliques et les grands rassemblements circonstanciels, des milliers de jeunes arbres, plantés pour l’occasion, mourront de soif ou par défaut de soins et d’entretien. Malheureusement.

Ainsi va l’arbre urbain : invisible dans les plans stratégiques ou opérationnels, accessoirisé ou effacé des budgets, absent des cours de géographie et d’instruction civique.

 

Pourtant, planter ou entretenir un arbre en ville est un acte d’urbanisme, d’écologie, de civisme, de spiritualité, de paix sociale, de marketing territorial, de résilience climatique et de justice intergénérationnelle.

  1. Constat : nos villes suffoquent, nos paysages s’effacent

Dakar, Thiès, Ziguinchor, Kaolack, Saint-Louis, Tambacounda : partout, l’urbanisation avance mais le végétal recule.

Les marchés brûlent mais ne sont jamais reconstruits avec un seul arbre. Les routes sont faites ou refaites, mais sans aucun arbre d’alignement. Pire encore, leur construction est souvent synonyme d’abattement des arbres existants. Les écoles et lycées sont construits, mais sans cour arborée. Les places publiques sont minéralisées, chaudes, vides. Les cimetières eux-mêmes ne sont plus sacrés, ni ombragés alors qu’ils auraient pu ressembler à celui d’Arlington, si beau, si verdoyant, si reposant. D’ailleurs, une tombe fleurie est-ce du luxe, un blasphème ?

Mais pourquoi n’y arrivons-nous pas ?

Nous avons fait de l’arbre une variable d’ajustement, un “problème” pour les plans, un “risque” pour les câbles électriques, un “obstacle” pour les chantiers, une contrainte pour les parcelles petites, les rues peu larges et les trottoirs étroits (lorsqu’ils existent). Au contraire, partout dans le monde, les villes qui gagnent sont celles qui reverdissent et qui accueillent la nature au lieu de la repousser.

Aussi, l’une des causes de ce désert urbain est l’existence d’institutions éclatées, sans leadership ni vision transversale. En effet, l’arbre n’est l’enfant de personne : trop petit pour le BTP, trop urbain pour l’environnement, trop long terme pour les politiques.

Les budgets sont sans ligne verte claire car il n’y a ni plan national de verdissement urbain, ni fonds spécifiques dédiés aux arbres en ville. Or, les fonds verts, la RSE ou encore la fiscalité incitative sont autant de leviers dormants.

En outre, il y a une reforestation hors-sol car l’Agence pour la Grande Muraille verte est pensée pour les zones rurales ou désertiques. Mais qui protège la trame verte dans les villes ? Qui fait la muraille verte ou les oasis des quartiers ?

Enfin, la planification urbaine ignore le végétal car les Plans d’Urbanisme (SDAU, PDU, PUD) ne prévoient ni quotas contraignants, ni trame verte obligatoire, ni indicateurs de performance environnementale. L’espace destiné aux parcs, squares et jardins locaux est en réalité une réserve foncière pour promoteurs ou détourné pour combler le manque d’infrastructures sociales.

 

III. Pourquoi l’arbre doit redevenir central ?

L’arbre n’est pas une décoration ou une touche de verte au milieu de la jungle de béton (concrete jungle). C’est une infrastructure vitale. Il est, entre autres :

– Un outil de lutte contre les îlots de chaleur car un seul arbre peut rafraîchir de 2 à 4°C l’air ambiant. Une rue arborée peut faire baisser de 6°C la température ressentie.

– Un rempart naturel contre les inondations car les racines absorbent, filtrent et retiennent l’eau – un baobab peut stocker jusqu’à 50.000 litres d’eau et un eucalyptus, absorber jusqu’à 100 litres par jour. À Dakar, où les sols sont de plus en plus imperméabilisés, l’arbre peu devenir un système de drainage vivant.

– Un filtre anti-pollution car il piège les particules fines, absorbe le CO2 et libère de l’oxygène. En ville, il est climatiseur ou purificateur d’air – et sans facture d’électricité en plus. Bref, un objet écologique qui contribue aussi à la préservation de la biodiversité (refuge pour insectes et petits animaux).

– Une opportunité économique car il offre plusieurs emplois verts (production de plants ou d’engrais, entretien, compostage et valorisation des déchets, etc.).

– Un outil de promotion territoriale car une ville verte est une ville attractive. Le label “Ville verte” ou “Ville fleurie” attire les investisseurs, les touristes, les talents. Le pouvoir d’image d’un parc urbain bien conçu est un puissant levier de marketing territorial. Central Park, le Jardin du Luxembourg et Hyde Park en sont une belle illustration.

– Une école silencieuse pour les enfants car chaque école devrait avoir un jardin pédagogique, un arboretum, une pépinière. Oui, un arbre par classe – au moins car il faut former des éco-citoyens, pas seulement des candidats à l’examen.

– Un acte de foi car dans l’Islam, par exemple, il est dit que « quiconque plante un arbre, chaque fois qu’un être s’en nourrit ou s’y abrite, cela lui sera compté comme aumône continue (sadaqa jaariya) ». Planter un arbre, c’est “investir” utilement pour la vie d’ici et l’au-delà.

 

  1. Propositions pour un Sénégal qui renoue avec le vert

 

Nous pourrions nous inspirer de quelques bonnes pratiques dans le monde :

À Kigali, les arbres sont obligatoires sur tout chantier routier avec des pépinières municipales actives et des arbres dans les écoles.

À Medellín, les corridors verts entre quartiers contribuent à la baisse sensible des violences dans les zones végétalisées.

À Nantes et Paris, des parcs sur les toits, les forêts urbaines ou des concours de “l’école la plus verte” s’ajoutent aux trames vertes protégées par les PLU.

À Abidjan, un plan de reforestation urbaine avec des arbres en bordure d’autoroute et sensibilisation communautaire participent au verdissement des villes.

Quid de Dakar ou du Sénégal ? Mes amis d’un château enchanté auraient proposé dix-huit (18) millions d’arbres plantés durant le mandat présidentiel – soit la taille de la population sénégalaise. Un rêve ? Disons, une utopie mobilisatrice.

Mais, en attendant, voici quelques propositions concrètes et pratiques :

  1. Créer une structure (souple et légère) de coordination interministérielle placée sous l’autorité du Premier ministre. Elle harmonisera les politiques sectorielles et coordonnera les actions des ministères, villes, écoles, bailleurs, associations et entreprises.
  2. Élaborer un Plan national de l’arbre et du végétal en ville avec des objectifs chiffrés, des cibles territorialisées et un financement adossé aux fonds verts internationaux (FVC, GEF, etc.), aux budgets locaux et aux programmes RSE.
  3. Arborer les infrastructures en essayant d’atteindre les objectifs suivants :

– des arbres d’alignement systématiques le long de toutes les routes principales ;

– des patios ombragés et arbres endémiques dans tous les bâtiments publics nouveaux ;

– des arbres pédagogiques plantés avec les élèves dans tous les lycées et écoles ;

– Mosquées, hôpitaux, cimetières = un verdissement symbolique et fonctionnel dans tous les hôpitaux, cimetières, mosquées et églises.

  1. Lancer un Label “Ville verte du Sénégal” et “École verte” pour sensibiliser et créer une émulation nationale entre mairies, écoles, universités, entreprises, scouts et ASC. Un concours national leur donnerait une plus grande visibilité médiatique.
  2. Inscrire l’arbre dans les documents de planification urbaine avec une trame verte obligatoire dans tout plan d’aménagement. Un coefficient de végétalisation minimum pourrait être imposé à chaque projet de logement collectif, ZAC ou opération d’urbanisme Un indice “canopée urbaine” pourrait être parmi les indicateurs de performance communale.
  3. Former les éco-citoyens de demain en se donnant pour ambition d’avoir un arbre par élève, un jardin par école et un concours par académie.

Enfin, la sensibilisation à la spiritualité de l’environnement sera incluse dans les cours d’éducation civique et religieuse.

Conclusion : et si l’arbre devenait une exigence et le vert, le new black ?

L’arbre ne demande rien, mais il donne tout. Il est lent, mais sûr. Il incarne l’infrastructure douce, l’équité sociale, la mémoire vivante de la ville.

Un arbre, c’est un climat apaisé. Une ville verte, c’est une ville aimée. Une capitale arborée, c’est un pays respecté.

Replanter les villes, c’est réenraciner la nature dans la ville. C’est inscrire la beauté dans la République. C’est faire de l’urbanisme une poésie durable.

“Un arbre planté aujourd’hui offrira son ombre à ceux qui ne sont pas encore nés.” Quelle bel acte de générosité et quelle belle promesse !

Alors, plantons !

Planifions des verdissements ambitieux !

Protégeons les arbres et la nature !

Faisons du Sénégal, non plus seulement un pays vert sur le drapeau, mais un pays vert dans ses villes, ses cœurs et ses actes

 

Par Oumar Ba

Urbaniste / Citoyen sénégalais

umaralfaaruuq@outlook.com

 

Dieyna SENE
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