La Chambre administrative de la Cour Suprême a annulé ce jeudi les deux arrêtés du ministre de la Communication visant à instaurer une plateforme d’inscription obligatoire pour les organes de presse et une commission d’examen et de validation des entreprises du secteur. Président du Conseil des diffuseurs de presse du Sénégal (CDEPS), Mamadou Ibra Kane salue la décision, mais prévient que le combat es tloin d’être terminé. Le patronat annonce une plainte contre le ministre Alioune Sall pour «actes criminels».
Entretien réalisé par L’Observateur
La Cour suprême vient d’invalider tous les arrêtés pris par le ministre de la Communication, pouvez-vous revenir sur les péripéties de cette affaire ?
D’abord une très grande satisfaction que la Cour suprême du Sénégal ait annulé les arrêtés illégaux pris par le ministre de la Communication. L’arrêté portant sur la création d’une plateforme électronique d’enregistrement des médias et l’autre arrêté portant sur la création d’une commission de validation de l’enregistrement des entreprises de presse. Ce sont peut-être des questions techniques, mais en termes terre-à-terre, le ministre de la Communication voulait s’arroger le droit de dire qui peut être média au Sénégal ou pas, qui peut être entreprise de presse au Sénégal ou pas. Donc, c’est ça que la Cour suprême a balayé totalement en disant le droit, en ce sens qu’aucune autorité administrative n’a le droit d’interdire un média, la création d’un média ou d’une entreprise de presse. Les conséquences sont très grandes parce que, vous vous rappelez, le ministre de la Communication avait donc établi une liste de médias dits conformes. Cette liste de médias dits conformes est totalement, aujourd’hui, invalidée par la décision de la Cour suprême. Et par conséquent, le fait que le ministre de la Communication se soit fondé sur cette liste dite de médias conformes pour éventuellement distribuer le Fonds d’appui et de développement de la presse, cette base-là disparaît. Le ministre ne pourra pas user de cette liste dite de médias conformes.
Aujourd’hui, le ministre doit simplement revenir à l’application pure et simple du décretde2021 instituant le Fonds d’appui et de développement de la presse et les règles selon lesquelles les entreprises de presse peuvent bénéficier du Fonds d’appui et de développement de la presse. Et non pas que le ministre, dans ses affabulations, dise qui peut en bénéficier ou ne pas en bénéficier. Et même que le ministre se permette de violer la loi en ce sens que, récemment, il a attribué une quote-part à la Maison de la presse Babacar Touré, une quote-part du Fonds d’appui et de développement de la presse, en toute illégalité. Donc aujourd’hui, l’enjeu c’était ça. Tous les actes posés par le ministre de la Communicationdepuis21moismaintenant, que dure la troisième alternance politique, sont entachés d’illégalité et la Cour suprême a aujourd’hui consacré cette illégalité.
Même si aujourd’hui la Cour suprême a consacré cette illégalité, la presse a quand même payé un lourd tribut…
Malheureusement, ça fait 21 mois que le monde de la presse vit un drame économique, vit un drame social. Un drame économique en ce sens que quasiment toutes les entreprises de presse sont en faillite. Il y a eu d’abord le blocage des comptes bancaires des entreprises de presse, c’est-à-dire que le nouveau régime nous a rejetés dans l’informel. On était obligés de traficoter l’argent pour payer nos fournisseurs, pour payer nos travailleurs.
Le nouveau régime a continué la pression fiscale sur les entreprises de presse. Le nouveau régime a sabordé, annulé tous les contrats publicitaires que nous avions avec l’Etat et ses différents démembrements. Le nouveau régime a refusé de débloquer la subvention aux médias. Donc en d’autres termes, il fallait asphyxier fiscalement, économiquement la presse. Vous vous rappelez également que le nouveau régime a tenté denier l’existence juridique même des entreprises de presse en prenant un arrêté qui a été suspendu par la Cour suprême, un arrêté portant cessation et interdiction de diffusionpour381 immédiats. Ce nouveau régime-là a instauré une calamité pour la presse sénégalaise et nous espérons que nous entrevoyons le bout du tunnel avec les décisions d’annulation, les décisions arbitraires et illégales du ministre de la Communication. Aujourd’hui, comme vous dites, une partie des fonds a été déjà distribuée.
Comment procéder puisque le ministre a déjà commencé la distribution des fonds ?
Le décret de janvier2021,portant création du Fonds d’accès de développement à la presse, a toute explicité. Mais le ministère de la Communication et, de manière générale, le nouveau régime de la troisième alternance politique, veut méconnaître la loi et instaurer une nouvelle loi au Sénégal. Malheureusement, il n’y a pas de nouveau décret. Il n’y a pas de nouvelle loi qui régit le Fonds d’appui de développement à la presse.
Donc, aujourd’hui ,le nouveau régime, le ministère de la Communication, ne peut que respecter les termes de la législation qui existent, à savoir le décret de 2021 portant création du Fonds d’appui de développement à la presse. Maintenant, le problème, c’est qu’il se pourrait que les fonds de 2025 soient perdus pour la presse, comme l’ont déjà été les fonds pour l’année 2024, où le ministre de la Communication avait encore violé la loi en refusant de distribuer les fonds dédiés aux entreprises de presse.
Et il a attendu le mois de novembre 2025 pour des fonds qui ont été votés depuis décembre 2024, pour commencer à vouloir distribuer la subvention aux médias, mais malheureusement à travers une plateforme qui aujourd’hui a été jugée illégale par la Cour suprême.
Quelles sont aujourd’hui les perspectives qui s’ouvrent pour la presse ?
Les perspectives, malgré tout, restent sombres pour la presse sénégalaise. Parce que d’abord, il y a le blocage des subventions dédiées aux médias qui, durant deux ans, n’ont pas été versées aux entreprises de presse. Il y a encore les contrats de publicité qui ont été unilatéralement annulés sous injonction du Premier ministre, et ces contrats-là n’ont pas été rétablis. Il y a d’autres contraintes qui pèsent sur les entreprises de presse, et donc peut-être que l’année 2026 sera encore très difficile. Et il nous faudra, sur la base des décisions de la Cour suprême, qu’on tente de voir comment trouver des fonds pour financer la presse publiée au Sénégal. Parce que l’asphyxie fiscale, l’asphyxie économique et l’asphyxie financière du nouveau régime est sans équivoque la volonté d’étouffer et d’exterminer la presse sénégalaise. Et que nous puissions donc trouver des fonds pour s’assurer. Parce que nous avons besoin d’une presse libre et indépendante, nous avons besoin d’une presse viable économiquement, pour continuer de participer à des alternances politiques, pour continuer la stabilité politique et sociale au Sénégal, pour continuer à préserver la paix auS énégal, contrairement à beaucoup de pays de la sous-région, où malheureusement la presse a été gangrénée par l’ethnicisme, le politicisme et autres.
Quelle sera la prochaine étape de la lutte pour le pas de trois ?
On va porter plainte. On va porter plainte contre le ministre de la Communication. Parce que vraiment, dans le vrai sens du terme, ce sont des actes criminels contre la presse sénégalaise. Aujourd’hui, ce sont des milliers d’emplois qui ont été perdus. Il y a beaucoup de nos confrères et consœurs, il y a beaucoup de nos collaborateurs qui ont perdu leur emploi et qui, aujourd’hui, vivent dans une pauvreté extrême. Il y a beaucoup de ménages qui ont été disloqués. Il y a beaucoup d’enfants qui n’ont pas été scolarisés. Je ne parle même plus de l’absence de dignité des travailleurs des médias. Tout cela simplement parce que nous avons un ministre de la Communication qui est de la pire incompétence, qui ne connaît ni le secteur de la presse ni les lois sénégalaises etqui nous impose simplement un dictat, une injonction de son Premier ministre pour exterminer la presse sénégalaise.
Quand comptez-vous déposer cette plainte et au niveau de quelle juridiction ?
On va se consulter. On va se consulter. D’abord, la décision de la Cour suprême n’est pas encore sortie, certainement dans les jours à venir. Et je vous rappelle que cette requête en annulation avait été introduite il y a plus d’un an. Donc la justice a son propre calendrier, mais nous allons le respecter et l’introduire au fur et à mesure sur la base de nos conseils.
Source L’Observateur


