« Un juge qui tire profit de sa fonction à des fins personnelles ou pour le compte d’un proche abuse de son pouvoir… Un tel abus de pouvoir viole profondément la confiance du public envers le système judiciaire. »
Code de déontologie des magistrats de la République fédérale du Nigéria, article 8:3 (2016)
Il y a huit ans et demi, en mai 2017, un enregistrement audio viral a circulé, présentant une conversation entre un sénateur de la République fédérale du Nigéria et une juge qui avait présidé une audience relative à une contestation électorale impliquant le sénateur l’année précédente. Dans cet enregistrement, on entendait les deux personnes se livrer à des pressions réciproques. La juge demandait au sénateur de s’assurer que tout paiement soit effectué en dollars américains et sollicitait des garanties quant à l’obtention d’un emploi pour sa fille dans la fonction publique d’un État du delta du Niger. La voix masculine semblait profondément soucieuse de ses désirs dans une conversation qui ne laissait que peu de place à l’imagination, tant sur le sujet que sur la contrepartie.
On pensait alors que l’enregistrement audio concernait un juge présidant un tribunal électoral qui avait rejeté une requête contre le sénateur lors des élections générales de 2015, dans l’un des États de la région du Centre du Nigeria, pour un siège à la chambre haute de l’Assemblée nationale. Une plainte déposée ultérieurement par des organisations non gouvernementales auprès de la Commission des crimes économiques et financiers (EFCC) pour enquêter sur l’enregistrement et son contenu n’a finalement rien donné.
Depuis, les principaux protagonistes de cet enregistrement sonore choquant ont connu un succès remarquable, comme seul le Nigeria sait en offrir. Après avoir été destitué, l’éminent sénateur a entrepris des études de droit. Le contenu de l’enregistrement n’a posé aucun problème lorsqu’en juillet 2025, le Conseil de l’Ordre des avocats l’a admis au barreau nigérian, puis la Cour suprême l’a autorisé à exercer la profession d’avocat dans le pays.
En février 2021, le juge dont la voix est largement soupçonnée d’être celle de l’enregistrement audio a été nommé président de la Haute Cour d’un des six États du delta du Niger.
Il semble que la fille mentionnée dans l’enregistrement ait finalement obtenu le poste promis. Sa carrière d’avocate de l’État a connu une ascension fulgurante. Treize ans après le début de sa carrière juridique, au dernier trimestre 2025, elle a été promue directrice adjointe au ministère de la Justice. La deuxième semaine de janvier 2026, elle se rendra à Abuja, où un comité du Conseil national de la magistrature (CNM), présidé par un juge de la Cour suprême, l’interrogera pour le poste très convoité de juge à la Haute Cour fédérale. Elle bénéficie d’un avantage certain face à un candidat qui a dix ans de plus qu’elle au barreau et qui, semble-t-il, la devançait en réalité sur le plan des compétences.
Ce siège est l’un des 14 postes vacants de juge à la Haute Cour fédérale qui devront être pourvus au premier trimestre 2026. Le Comité du Conseil national de la magistrature (NJC) devrait auditionner 28 candidats sur une période de trois jours. Vingt-quatre d’entre eux sont originaires de douze États et territoires du Nigéria : Abia, Akwa Ibom, Cross River, Enugu, Imo, Kaduna, Kwara, Plateau, Sokoto, Taraba, Zamfara et le Territoire de la capitale fédérale (FCT).
Le Comité du NJC comprendra au moins deux juges retraités de la Cour suprême ; un juge retraité de la Cour d’appel ; le président actuel de l’Association du barreau nigérian et l’un de ses prédécesseurs. Le Comité auditionnera également quatre candidats de l’État de Nasarawa, qui compte deux postes vacants.
La Commission fédérale des services judiciaires (FJSC) a procédé à la présélection des 28 candidats. Cette étape du processus comprenait, entre autres évaluations, un test informatisé (CBT) et un test d’aptitude. Chaque candidat est noté pour ces deux épreuves, mais les résultats ne sont pas publiés. Il n’est pas surprenant qu’un processus aussi opaque alimente la controverse autour de trois points.
Premièrement, certains candidats non retenus accusent les autorités judiciaires d’avoir manipulé les résultats et présélectionné des candidats qui auraient échoué à l’examen d’admissibilité. Il est affirmé que certains des candidats figurant sur la liste finale des 28 ont obtenu des scores aussi bas que 30 % voire 25 %.
Une personne a même allégué que le nom du candidat ayant obtenu le meilleur score au test avait été exclu de la liste, car il s’agissait d’un candidat originaire d’un État du sud-est du Nigeria. Ce ne serait pas la première fois qu’une telle allégation est formulée concernant les nominations judiciaires à la Haute Cour fédérale. Tant que la Commission fédérale des services judiciaires (FJSC) et le Conseil national de la magistrature (NJC) refuseront de publier les scores de tous les candidats, il sera impossible d’écarter ces allégations.
Deuxièmement, lors de sa 108e réunion, les 29 et 30 avril 2025, le NJC a décidé que « désormais, la FJSC, toutes les commissions des services judiciaires et tous les comités du Territoire de la capitale fédérale (FCT) publieront les noms de tous les candidats recommandés pour des nominations judiciaires. L’objectif principal de cette initiative est de recueillir les commentaires du public concernant l’intégrité, la réputation et l’aptitude de ces candidats à exercer des fonctions judiciaires. »
À l’époque, cela paraissait impressionnant. En réalité, il s’agissait d’une manœuvre trompeuse. À ce stade irréaliste, les critères de consultation publique, définis par le NJC, se limitent aux questions d’« intégrité, de réputation et d’aptitude » des candidats recommandés. Or, si une décision a déjà été prise de recommander un candidat, ces questions ont déjà été examinées. En effet, dès lors qu’un candidat est « recommandé » pour une fonction judiciaire, toute possibilité de contestation publique est déjà compromise.
Troisièmement, le seul motif valable, à ce stade, de contester le processus serait l’intégrité même de la procédure de nomination. Il s’agit sans doute de la question la plus importante soulevée par cette vague de nominations à la Cour fédérale de grande instance. L’article 11(iv) du Code de déontologie judiciaire exige que « dans l’exercice de ses fonctions administratives, un magistrat s’abstienne de tout népotisme et de tout favoritisme ».
Pourtant, il est difficile de ne pas voir dans la liste restreinte des candidats que le comité du Conseil national de la magistrature (NJC) auditionnera le mois prochain une véritable démonstration de népotisme et de favoritisme. Cette liste regorge d’enfants ou de candidats de magistrats, en exercice ou retraités, dont certains sont impliqués dans le processus.
La fille de magistrat mentionnée précédemment n’est d’ailleurs pas la seule personne issue d’un milieu privilégié figurant sur la liste. Le candidat qui sera nommé dans l’État de Kaduna, par exemple, est assuré d’appartenir à une famille de magistrats. Les deux candidats de l’État qui seront interviewés sont des enfants d’anciens juges. Parmi les deux candidats de l’État d’Abia, l’un est l’enfant d’un juge en exercice.
L’État d’Akwa Ibom présente également un candidat favori qui travaille avec un magistrat en exercice et est parrainé par lui, ce dernier pouvant même participer au processus d’entretien. L’État de Taraba connaît une situation similaire, et ce ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres.
Ce schéma se retrouve sur l’ensemble de la liste restreinte, sans aucune dissimulation ni honte.
Ailleurs dans le monde, l’humanité ignore tout de ce qu’est le « gène judiciaire ». Il n’existe qu’au Nigéria. Un internaute décrit le processus de nomination des juges au Nigéria comme une forme de « filiation par la conjugalité ».
Il semble évident que le processus de nomination des juges au Nigéria est devenu largement une mascarade, truquée dans le but prédéterminé d’insérer des enfants dans des postes judiciaires occupés ou récemment laissés vacants par leurs parents ou protecteurs.
Comble de l’absurdité, la prétendue réforme décidée par le Conseil national de la magistrature (NJC) en avril 2025, consistant à publier les noms des candidats « recommandés » pour des fonctions judiciaires, vise uniquement à légitimer un processus prédéterminé, en violation flagrante du Code de déontologie judiciaire.
La juge en chef du Nigéria a l’opportunité, lors de cette vague de nominations à la Haute Cour fédérale, de rectifier le tir. Dans un premier temps, elle devrait publier les scores de tous les candidats tout au long du processus. Cela rassurerait le public quant à son engagement à libérer les nominations judiciaires au Nigéria des influences néfastes persistantes, telles que les chantages, les conflits conjugaux et les abus de pouvoir.
Avocate et enseignante, Odinkalu est joignable à l’adresse suivante : chidi.odinkalu@tufts.edu


