Lettre Ouverte À Un Premier Ministre : « Non, l’étudiant n’est pas un coût, mais notre avenir ! » Mamadou Bamba Ndiaye Ancien député

Devant chaque revendication liée aux bourses étudiantes, la même rhétorique refait surface : les bourses seraient un fardeau, une aide sociale non « soutenable », une dépense à « rationaliser », sinon le résultat détestable de la « peur » de l’Etat devant les luttes étudiantes.

Il est temps d’en finir avec cette comptabilité myope qui hypo­thèque gravement l’avenir de notre jeunesse et de notre pays.

Considérer les bourses comme une sorte de charité d’État est une faute politique majeure. Les bourses ne sont pas une aumône ver­sée à une jeunesse affamée ; elles sont un investissement straté­gique dans le capital humain, dont le taux de rentabilité peut dépasser celui des infrastructures physiques. Il a été calculé au Sénégal que la généralisation de la bourse à tous les étudiants au­rait contribué à un gain de 0,03% de taux de croissance par an entre 1998 et 2019. Selon des données de l’Unesco, cette contri­bution pourrait atteindre 3% du PIB sur le long terme. Si l’alter­nance de l’an 2000 n’avait produit que la généralisation de la bourse comme résultat, son bilan aurait été à jamais louable.

Les populistes, qui sont généralement porteurs d’une pensée éco­nomique ultra-conservatrice, veulent que l’État soit géré comme une entreprise soucieuse de minimiser ses coûts. Pour eux, l’étu­diant représente une dépense improductive. En réalité, l’étudiant représente plutôt notre PIB de demain.

Chaque franc versé aujourd’hui pour soutenir un étudiant en mé­decine, en ingénierie ou en sciences humaines est un placement à taux élevé. Une fois diplômé, ce cadre supérieur remboursera largement à l’État, via ses impôts et sa consommation, le montant de sa bourse. Certains analystes estiment qu’il remboursera l’équi­valent de 5 à 10 fois sa bourse sur la durée de sa carrière.

Selon la Banque mondiale, en Afrique subsaharienne, chaque année d’études supérieures supplémentaire produit une augmen­tation moyenne de revenus de 10 à 15 %. Refuser cet investisse­ment, c’est donc choisir de persévérer dans la pauvreté et sacrifier les générations futures.

Les populistes se gargarisent d’expressions comme « start-up na­tion », « souveraineté numérique » ou « indépendance énergé­tique ». Mais comment donner un contenu concret à ces slogans sans de forts investissements dans le capital humain et l’innova­tion ?

C’est uniquement en sécurisant le parcours scolaire et universi­taire de ses enfants qu’un pays peut espérer développer leur ca­pacité à innover. En remettant en cause leurs acquis en matière de bourses et d’aides scolaires, on les condamne à l’exil ou à la médiocrité. Or, le coût de la « fuite des cerveaux » ou de parcours de formation chahutés est largement moins « soutenable » que celui des bourses étudiantes.

La philosophie de l’ajustement structurel nous a fait assez de mal au cours des 20 dernières années du 20ème siècle. Elle revient à la mode aujourd’hui sous le déguisement paradoxal d’un popu­lisme qui se prétend pourtant « patriote », voire « révolution­naire».

En wolof, la politique d’ajustement structurel est parfaitement ré­sumée par l’expression « joxe loo attan » (donner ce que l’on peut). C’est la politique de la moindre ambition.

Pourtant, ce n’est pas John Meynard Keynes mais bien Wolof Njaay qui nous a appris l’effet multiplicateur avec le fameux « joxe yokku » (gagner en donnant). C’est semer une graine au­jourd’hui pour récolter une forêt demain.

La bourse est un ascenseur social, le carburant de la méritocratie républicaine. Faire des sacrifices pour les payer, ce n’est pas de la générosité. C’est de la pure ambition de développement.

Mamadou Bamba Ndiaye

Ancien député

Dieyna SENE
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