Lettre A Mon Fils (, A-Propos De Moody ’S Et Des Absurdités De La Finance Mondiale ) Par Allé Badou Sine

Mon fils,

Tu m’as demandé ce que signifie cette “note” que l’institution américaine Moody’s a cru bon de donner au Sénégal.

Question légitime, je te l’accorde.

Et comme ton père a toujours eu la faiblesse de préférer l’intelligence à la résignation, je vais tenter de te répondre — non pas comme un économiste, mais comme un homme sensé observant, du bord du monde, les contorsions du cirque planétaire qu’on appelle la “finance internationale”.

Tu vois, mon fils, Moody’s est une entreprise privée qui s’est donné pour mission de “noter” les États, un peu comme un maître d’école corrigeant des copies d’élèves turbulents.

Mais la différence, c’est que le maître en question a lui-même été pris trois fois la main dans le pot de confiture, condamné pour escroquerie, aveuglement ou complicité de fraude — et qu’il continue malgré tout à faire la leçon aux autres avec la gravité d’un curé qui a perdu la foi mais garde le goupillon.

Autrement dit, Moody’s juge les pays, comme un pyromane évalue la résistance au feu de la maison du voisin.

C’est l’Occident qui note l’Afrique,

le voleur qui évalue la vertu du propriétaire,

le menteur qui classe les honnêtes gens selon leur capacité à bien mentir.

Ces agences de notation, mon fils, se prennent pour des oracles.

Elles observent nos économies à travers des lunettes tachées de dollars et concluent :

“Ce pays inspire confiance” ou “Celui-là est à risque”.

Mais leur confiance, vois-tu, n’est pas une affaire de justice ni de vérité :

c’est une question de soumission.

Tu obéis aux marchés, tu es “bien noté”.

Tu oses parler de souveraineté, tu es “dégradé”.

Le Sénégal, aujourd’hui, s’affirme.

Il ose dire : “Nous voulons décider nous-mêmes, produire nous-mêmes, financer nous-mêmes.”

Et pour cela, Moody’s nous fait la moue, comme une vieille dame effarouchée par la liberté d’une jeune fille.

Pourtant, mon fils, pendant que ces juges en carton froncent leurs sourcils d’analystes, le Sénégal lève 450 milliards sur son propre marché, là où il n’en demandait que 300.

Tu vois le paradoxe ?

L’élève mal noté a plus de succès que le professeur !

Et, comble de l’affront, il le fait sans tendre la main à personne.

Une levée de fonds “interne” : le mot seul suffit à faire trembler les murs du capitalisme mondialisé.

Car rien n’effraie plus ces marchands de dettes qu’un peuple qui apprend à marcher seul.

Un peuple souverain, c’est la ruine du business de la dépendance.

Et quand un gouvernement agit avec l’appui de son peuple, cela devient pour eux un acte de rébellion.

Moody’s, mon fils, c’est une sorte de prophète de malheur salarié.

Elle prédit la catastrophe partout sauf là où elle a semé le désastre.

Elle n’a rien vu venir des crises qu’elle a contribué à créer — ni la faillite d’Enron, ni celle de Lehman Brothers, ni la gigantesque bulle des subprimes.

Mais dès qu’un pays africain relève la tête, elle accourt, carnet en main, pour lui dire qu’il “présente un risque”.

Tu sais quel risque ?

Celui d’avoir enfin compris le piège.

Et comble du cynisme, cette institution ferme les yeux sur le carnage financier du régime précédent :

les chiffres truqués, les dettes maquillées, les statistiques repeintes comme une façade avant l’arrivée des invités.

Le FMI, ce grand frère pudique de Moody’s, n’a rien vu non plus.

Il faut dire qu’il regardait ailleurs, peut-être vers la salle de cocktail.

Mais maintenant que la vérité surgit, ils découvrent subitement la rigueur, la morale, la discipline budgétaire !

C’est comme si un bandit repenti venait te donner des leçons de probité pendant qu’il compte encore ses butins.

Alors, retiens bien ceci, mon fils : dans le grand théâtre de la finance mondiale, l’Africain honnête fait peur.

Pas parce qu’il est pauvre, mais parce qu’il ne veut plus tricher.

Et ça, vois-tu, c’est un crime impardonnable aux yeux de ceux qui vivent du mensonge.

Mais qu’ils se rassurent : nous ne demandons plus leurs bons points.

Nous avons nos propres lettres de noblesse :

non pas les A+, B- ou C de leurs rapports bidon,

mais les A de l’Authenticité, de l’Audace, et de l’Affranchissement.

Dis-leur, mon fils :

on ne note pas un peuple qui se lève.

On ne mesure pas la dignité d’une nation avec la règle tordue des spéculateurs.

Et que ceux qui ont fait du monde une bourse cessent de vouloir en être les juges.

Vive le Sénégal debout.

Vive l’Afrique lucide.

Et que Moody’s continue de jouer à la maîtresse d’école :

nous, nous avons déjà quitté la classe.

Avec toute la tendresse du vieux père moqueur que je suis,

et un clin d’œil à ton intelligence,

Ton père, Allé Badou Sine

Dieyna SENE
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