Alors que les récits pessimistes entourant l’économie sénégalaise se sont multipliés depuis plus d’un an, en l’absence d’un nouvel accord avec le Fonds Monétaire International (FMI), le pays démontre une capacité de résilience remarquable et mobilise des ressources significatives sur les marchés régionaux.
Le succès retentissant du quatrième Appel Public à l’Épargne (APE4) en 2024, ayant mobilisé 560 milliards FCFA, est un signal fort. Cette contribution documentée vise à déconstruire le narratif du doute, en mettant en lumière la robustesse sous-jacente de l’économie sénégalaise, la stratégie de recours au marché régional comme alternative viable, et les fondements d’un nouveau départ annoncé pour 2026.
- Analyse du succès de l’APE4 : Un indicateur robuste de confiance et de résilience
L’annonce de la mobilisation de 560 milliards FCFA (854 millions USD), dépassant de 40% l’objectif initial de 400 milliards, est bien plus qu’un simple succès de trésorerie. C’est un indicateur macroéconomique et psychologique majeur.
Appréciation argumentée :
- Confiance maintenue des investisseurs : La sursouscription massive démontre que les investisseurs institutionnels et individuels de l’UEMOA continuent de faire confiance à la signature souveraine du Sénégal. Cette confiance est ancrée dans des fondamentaux historiquement solides : une croissance moyenne supérieure à 5% sur la dernière décennie (hors Covid), une inflation maîtrisée (estimée autour de 2-3% en 2024 dans l’UEMOA), et des perspectives de transformation structurelle et systémique avec les projets gaziers et pétroliers de Sangomar et Grand Tortue Ahmeyim (GTA), dont les premières exportations sont imminentes.
- Résilience face aux chocs conjoncturels : Malgré les défis politiques de l’année écoulée et l’absence de programme avec le FMI, l’État a pu accéder à des financements à un coût raisonnable.
Cela indique que le marché régional distingue les difficultés de liquidité à court terme de l’insolvabilité. La capacité à lever des fonds localement est un puissant amortisseur en période d’incertitude sur les marchés internationaux.
- Base d’investisseurs domestiques solide : Le succès des APE renforce la profondeur financière du marché régional et réduit la dépendance exclusive aux capitaux extérieurs volatils. Il s’agit d’une stratégie de souveraineté financière.
Illustration : Comparativement, lors de l’émission obligataire internationale de 2021, le Sénégal avait levé 1 milliard d’euros à un taux de 4,75% sur 12 ans et 700 millions d’euros à 5,125% sur 20 ans. Le taux de 6,95% sur le marché régional, bien qu’en apparence plus élevé, doit être analysé en contexte d’un resserrement global des conditions monétaires (hausse des taux directeurs partout) et sans les risques de change associés aux emprunts en devises.
- Conditions de l’APE4 et dynamique de la dette : Une gestion proactive plutôt qu’un risque accru
Les conditions de l’APE4 à des taux plafonnés à 6,95% et échéances allant jusqu’à 10 ans sont effectivement favorables dans le contexte actuel du pays.
Analyse de l’impact sur la dette :
- Allongement de la maturité : La présence d’échéances à 10 ans est une excellente nouvelle. Elle permet d’allonger le profil d’endettement et de réduire les pressions de remboursement à court terme (réduction du « mur de la dette »). Cela améliore la soutenabilité en lissant les charges sur une plus longue période.
- Coût maîtrisé dans un contexte mondial hostile : Un taux inférieur à 7% en monnaie locale (FCFA, indexé sur l’euro) reste compétitif lorsque des pays émergents similaires empruntent sur les marchés internationaux à des taux parfois supérieurs à 10%. Le risque de change est éliminé.
- Augmentation de l’encours, mais pour quel usage ? La question cruciale n’est pas l’augmentation mécanique du stock de dette, mais l’affectation des fonds. Si ces ressources sont dirigées vers des investissements productifs (infrastructures énergétiques, agricoles, de transport) qui généreront à terme de la croissance et des recettes fiscales, elles amélioreront le ratio dette/PIB à moyen terme.
La vigilance doit porter sur le financement du déficit courant par de la dette non concessionnelle. Selon la Direction générale de la Dette Publique (DGDP, 2024), la part de la dette intérieure dans la dette totale du Sénégal est passée d’environ 20% en 2012 à près de 40% ces dernières années, illustrant cette stratégie de diversification des sources.
- Accès aux marchés sans le « quitus » du FMI : Une fenêtre d’opportunité temporaire mais réelle
L’absence d’accord avec le FMI depuis plus d’un an est un sujet de préoccupation, mais elle ne signifie pas une fermeture immédiate des marchés.
Perspectives d’accès :
- Le marché régional UEMOA comme bouée de sauvetage stratégique : C’est l’argument central de la résilience sénégalaise. Le marché régional des capitaux, profond et liquide, reste largement accessible. Les investisseurs de la zone partagent une monnaie commune et ont une connaissance intime des économies membres. L’APE4 en est la preuve éclatante. Cette alternative stratégique permet au Sénégal de gagner du temps pour finaliser les négociations avec le FMI sans subir d’asphyxie financière.
- Durée de la fenêtre d’opportunité : Cette capacité à emprunter localement n’est pas illimitée. Elle dépend de :
- La capacité d’absorption du marché (pour ne pas « crowded out » les autres émetteurs).
- L’évolution des indicateurs macroéconomiques nationaux (déficit, croissance, réserves de change).
- La patience des investisseurs qui exigeront des taux de plus en plus élevés si les négociations avec le FMI s’éternisent sans progrès visibles sur les réformes.
Une estimation réaliste suggère que cette stratégie peut être poursuivie pendant encore 12 à 18 mois, à condition que les fondamentaux ne se dégradent pas brutalement.
- Le marché international : Il est pratiquement fermé dans les conditions actuelles, sauf à des coûts prohibitifs. Un retour y est conditionné à la signature d’un nouvel accord avec le FMI, perçu comme un label de crédibilité et de discipline.
- Risque de cessation de paiement : Un scénario peu probable au vu des atouts structurels
Le risque de défaut de paiement (cessation de paiement) pour le Sénégal reste faible à moyen terme, et ce, pour plusieurs raisons fondamentales.
Arguments contre le scénario du défaut :
- Soutenabilité de la dette globalement sous contrôle : Malgré son augmentation, le ratio dette publique/PIB du Sénégal est estimé autour de 75-80% fin 2023. Bien qu’élevé, ce niveau reste inférieur à celui de nombreux pays en développement et surtout, la structure de la dette s’est améliorée. La part de la dette en monnaie locale (non soumise au risque de change) a augmenté, et la part des créanciers multilatéraux (Banque Mondiale, BAD) aux conditions concessionnelles reste significative.
- Arrivée imminente des ressources extractives : Le Sénégal n’est pas un État sans atouts. Le champ pétrolier de Sangomar (première production en 2024) et le projet gazier GTA (premières productions attendues en 2026/2027) vont générer des flux de devises substantiels. Même avec la prudence nécessaire sur les volumes et les prix, ces projets représentent un changement de paradigme pour les recettes d’exportation et les rentrées fiscales. Les investisseurs anticipent cette manne future, ce qui soutient la confiance in fine.
- La perspective de 2026 comme nouveau départ : Le gouvernement présente l’année 2026 comme celle d’une relance et d’un nouveau départ. Cet horizon correspond à plusieurs éléments convergents :
- Le premier « vrai » budget post-réformes d’un nouveau régime, intégrant potentiellement les leçons des audits et notamment des restructurations en cours.
- Le retour probable dans un écosystème financier agile, avec la signature d’un nouvel accord FMI (probablement fin du premier trimestre 2026 ou durant l’année…) qui débloquera non seulement des financements concessionnels mais aussi l’accès aux marchaux internationaux à des taux raisonnables.
- L’accélération des recettes des projets pétroliers et gaziers, améliorant durablement la balance des paiements.
- Les « avantages comparatifs » pérennes du Sénégal : Stabilité politique historique dans la région, position géostratégique de hub, jeux olympiques de la jeunesse, infrastructures de qualité (autoroutes, nouvel aéroport, port de Dakar), secteur privé dynamique et cela malgré les difficultés du moment, et un capital humain de qualité. Ces atouts continuent d’attirer les investissements directs étrangers (IDE) dans des secteurs comme l’agro-industrie, les télécoms et les services…
Conclusion : La résilience à l’épreuve, la transformation en ligne de mire
Le succès de l’APE4 est bien le symptôme d’une économie sénégalaise plus résiliente que ne le suggère le discours ambiant. Il valide une stratégie de repli intelligent sur le marché régional, permettant de naviguer une période d’incertitude sans coupure financière. Si l’augmentation de la dette doit être surveillée avec vigilance, elle finance pour l’heure une transition cruciale.
Le pays n’est pas au bord de la cessation de paiement ; il est dans l’antichambre d’une transformation majeure de son modèle économique, portée par les hydrocarbures et une intégration régionale approfondie. L’horizon 2026 se profile effectivement comme une ligne de partage des eaux : aboutissement des restructurations, retour dans le giron des bailleurs internationaux via le FMI, et pleine exploitation des nouveaux atouts extractifs. Le défi immédiat des autorités est de finaliser les réformes pour décrocher le « quitus » du FMI, afin de transformer la résilience actuelle en une croissance inclusive et durable pour les lendemains meilleurs que le Sénégal mérite.
Dr. Seydina Oumar Seye.


