Après avoir signé, avec plus d’une centaine d’universitaires et intellectuels, une pétition pour la libération de Sonko, la réhabilitation de son parti et dénoncé le recul démocratique et les atteintes aux libertés, le Professeur Abdel Kader Boye, Ancien Recteur UCAD, président de la plateforme «le Sursaut citoyen», un groupe de réflexion et d’action, qui vient d’être créé, s’est fendu hier d’une tribune au vitriol contre le président Macky Sall dont la gouvernance a remis en cause tous les acquis en matière de démocratie et d’Etat de droit.
«Ce qui passe actuellement au Sénégal, sous la gouvernance de Macky Sall est tout à fait inédit, si l’on se rapporte à l’histoire politique du Sénégal depuis l’indépendance. Encore plus inédit, si l’on se rapporte à l’histoire politique ante indépendance de notre pays avec l’épanouissement d’une vraie démocratie communale dans les villes comme Saint-Louis, Dakar, Gorée et Rufisque», a martelé d’emblée le Pr Boye.
Et d’en remettre une couche : «Au cours de ces périodes, le Sénégal a su forger un socle de traditions de démocratie politique et syndicale, créer un cadre d’épanouissement de libertés politiques et civiques, de savoir-vivre en communauté sans rien gommer de nos divergences, de nos conflits, de nos traditions culturelles. Depuis qu’il a accédé au pouvoir, le Président Macky Sall, en rupture avec ses prédécesseurs, a mis en œuvre une politique qui s’inspire de l’autoritarisme, voire plus, qui a pour finalité, comme il a eu à le dire lui-même, de réduire l’opposition à sa plus simple expression».
Poursuivant, le Professeur de Droit affirme que cette politique «a pour corollaire de réduire le périmètre de l’état de droit en remettant systématiquement en cause un ensemble de droits et libertés garantis aussi bien par des instruments juridiques internationaux signés et ratifiés par le Sénégal comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (signé le 6 juillet 1976 et ratifié le 13 février 1978), que par nos différentes constitutions, dont la dernière en date de 2001».
«Macky Sall, depuis 2012, a montré qu’il n’aimait pas du tout les contre-pouvoirs et les oppositions trop affirmées. Son objectif a été de conserver le pouvoir à tout prix…»
Prônant le respect des règles et principes constitutionnels, l’universitaire de souligner, qu’«il n’est pas avéré que tous les présidents qui ont précédé M. Sall ont respecté scrupuleusement tous ces principes et ces règles. Mais ils ont sauvegardé l’essentiel qui nous avait valu l’appréciation un peu surfaite à l’étranger de modèle démocratique en Afrique».
«Macky Sall, depuis 2012, a montré qu’il n’aimait pas du tout les contre-pouvoirs et les oppositions trop affirmées. Son objectif a été de conserver le pouvoir à tout prix avec un système électoral adéquat», assène Pr Boye.
Qui insiste : «Il use pour atteindre ses fins, de deux méthodes : ravaler toute opposition significative à sa plus simple expression grâce à la manipulation constante du Code électoral et à l’appoint d’un système judiciaire qui est devenu, au gré du temps et des changements de la composition sociologique de ses acteurs, une pâle copie de ce qu’il était dans les années 60-80, tant du point de vue de ses compétences techniques que de celui de l’attachement aux valeurs éthiques et sacerdotales de la fonction de dire le droit ; grâce aussi à un système de diabolisation et de liquidation politique de l’adversaire élaboré pas Team Jorge, dont le journal Le Monde dit «qu’elle pourrait aussi bien ne pas exister, (…) et grâce enfin à un usage dévoyé de la notion de dialogue national, forum où toutes les questions intéressant la nation sont supposées être discutées».
Selon Pr Boye, l’usage de ces méthodes ou de quelquesunes a été de règle pour la première fois avec Karim Wade, avec comme support de campagne : la reddition des comptes censée rencontrer l’accord de la majorité des Sénégalais. A cet effet, la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite, tombée dans l’oubli dans les années 80, fut réactivée pour traquer Karim Wade et quelques autres proches du pouvoir, ensuite pour intimider les autres membres du PDS, parti dont presque tout le Comité directeur fut décapité.
«L’idée de fond était de priver Karim Wade de ses droits civiques et politiques, ce qui fut fait par condamnation et suivi de son exil forcé à Dubaï», dit-il. «Après Karim Wade, dit-il, l’élection présidentielle en perspective de 2019 mettait en lumière Khalifa Sall, Maire de Dakar, comme candidat sérieux. Il n’échappa pas aux mêmes méthodes de mise à l’écart, sans cette fois-ci l’utilisation de la CREI, mais de l’Inspection générale d’Etat». A l’en croire, «l’objectif ici encore, était de priver un adversaire politique de la possibilité de sa présence à l’élection présidentielle. Beaucoup de ses compagnons et militants connurent la prison»
«C’est toute notre tradition démocratique qui s’effondre sous nos yeux, tous les fondamentaux acquis grâce à des luttes démocratiques remontant loin dans l’histoire politique du Sénégal qui sont niés»
Et ça va se poursuivre avec Ousmane Sonko, arrivé 3e à la dernière présidentielle. «En 2019, alors qu’il abordait son dernier mandat, Macky, qui entendait faire un 3ème mandat, va engager un combat sanglant contre Ousmane Sonko, Président du parti PASTEF/les Patriotes), dont la résistance explique l’ampleur de la répression tout à fait inédite dans l’histoire politique du Sénégal, contre un leader politique, des militants politiques et un parti politique légalement constitué, finalement dissous. Répression qui s’est étendue à des journalistes, des médecins, des ingénieurs, des jeunes tués par balles, des partis politiques interdits de se réunir, etc.», souligne le patron de la plateforme «le Sursaut citoyen».
Comme dépité, il lâche : «C’est toute notre tradition démocratique qui s’effondre sous nos yeux, tous les fondamentaux acquis grâce à des luttes démocratiques remontant loin dans l’histoire politique du Sénégal qui sont niés». Dénonçant ce qu’on pourrait qualifier de collision entre les pouvoirs exécutif et judiciaire, Pr Boye affirme que «pour arriver à ses fins, Macky va réaménager la composition du Parquet et placer dans les cabinets d’instruction, des magistrats «sûrs» ».
«Les procureurs jouent sur une disposition décriée depuis longtemps du Code de procédure pénale qui dit que «sur les réquisitions dûment motivées du ministère public, le juge d’instruction est tenu de décerner un mandat de dépôt contre toute personne inculpée dans l’un des crimes ou délits prévus par les articles 56 à 100 et 235 du Code pénal».
Précisant que «le jeu pour un procureur consiste à viser dans ses réquisitoires, contre les personnes arrêtées souvent arbitrairement, un ou plusieurs articles choisis d’entre ces articles 56 à 100 et 235». Ce qui est d’autant plus regrettable pour lui, que «certains procureurs ne s’en privent pas. Ce qui explique que sur les 37 prisons du Sénégal, les 34 sont archis pleins. Et que comptabiliser le nombre de détenus politiques ou pour raison politique ou à l’occasion de manifestations politiques relève d’un jeu de hasard».
En outre, soutient-il que «l’autre méthode dont use Macky Sall pour pouvoir mieux affaiblir un opposant redouté est d’inviter à un « dialogue national » fourretout où une multitude de commissions créées pour les besoins de la cause, s’occupent des questions les plus disparates alors qu’un seul ou deux objectifs sont recherchés : changer le code électoral, intégrer des opposants dont l’accord a été obtenu au préalable et isoler et réduire à néant l’opposition récalcitrante».
«Ce schéma a beaucoup fonctionné dont les versions les plus récentes sont celles de 2019 (dont on attend encore les conclusions) et celle de 2023 dont l’objectif était d’isoler l’opposition significative et d’éliminer de la future compétition, Ousmane Sonko», notet-il. Et d’inviter à la mobilisation pour redorer le blason du pays. «Les démocrates, les militants des droits de l’homme ou des droits humains, les citoyens épris de justice et de paix sociale se doivent de faire échec à ces méthodes de négation des libertés publiques, des droits civils et politiques, de droit à participer, comme électeur ou candidat, sans entraves artificielles judiciaires ou légales, à l’élection présidentielle. Il importe que les Sénégalais renouent avec leurs traditions démocratiques, leur modèle de tolérance et de reconnaissance de la jouissance et de l’exercice des libertés civiles et politiques», conclut le Pr Boye
L’Info