L’affaire Madiambal Diagne, visé par un mandat d’arrêt international émis par le Pool judiciaire financier pour association de malfaiteurs, escroquerie sur les deniers publics, blanchiment de capitaux en bande organisée et complicité, dépasse la simple trajectoire individuelle d’un journaliste. Elle met à nu les mécanismes d’un système de collusion entre pouvoir politique, intérêts économiques et réseaux médiatiques, hérité du régime de Macky Sall. Ce cas ne constitue pas une exception : il représente la partie visible d’un iceberg dont les ramifications traversent l’ensemble du champ médiatique sénégalais.
Sous Macky Sall, le pouvoir politique a méthodiquement construit un réseau de clientélisme médiatique destiné à contrôler la production de l’information et à orienter la perception publique du régime. L’État distribuait des marchés de communication, des subventions, des exonérations fiscales et d’autres avantages à des journalistes et patrons de presse considérés comme « alliés ». En retour, ces derniers assuraient la défense du gouvernement, la légitimation de ses politiques et la diabolisation de ses opposants. Cette pratique, relevant d’un capitalisme de connivence, a transformé une partie de la presse en instrument de propagande et d’enrichissement personnel.
Dans ce contexte, Madiambal Diagne illustre le profil typique du journaliste devenu homme d’affaires grâce à sa proximité avec le pouvoir. Son influence médiatique lui a permis de convertir son capital symbolique en capital économique, selon la logique décrite par Pierre Bourdieu (1994). Ce processus de reconversion, favorisé par la confiance du régime, a permis à certains acteurs médiatiques d’accéder à des privilèges financiers et administratifs inaccessibles aux professionnels indépendants. La frontière entre journalisme, communication et affaires s’est estompée, créant un champ hybride où la loyauté politique devenait une ressource économique.
Toutefois, ce système de privilèges n’a pas survécu à la fin du régime qui l’avait engendré. L’arrivée d’un nouveau pouvoir, prônant la sobriété, la transparence et la rupture avec les pratiques de rente, a mis fin aux facilités dont bénéficiaient ces réseaux d’allégeance. Dès lors, une partie de la presse, autrefois silencieuse ou complaisante, s’est muée en opposition virulente. Cette hostilité soudaine ne découle pas d’une renaissance morale, mais de la perte d’intérêts matériels et de positions d’influence. Ceux qui profitaient hier des ressources publiques au nom de la proximité politique voient désormais dans le discours critique un moyen de revanche symbolique, sinon de survie économique.
Cette attitude traduit la dépendance structurelle du champ médiatique vis-à-vis du pouvoir politique. Loin d’être purement idéologique, la position des journalistes dans l’espace public obéit souvent à des logiques de repositionnement stratégique. Comme l’a montré Jean-François Médard (1990), dans les régimes néo-patrimoniaux africains, la fidélité politique est un capital à entretenir, et sa rupture entraîne une perte de rente. L’hostilité de certains médias vis-à-vis du pouvoir actuel trouve donc son explication dans la disparition d’un système de redistribution sélective des privilèges, plus que dans une véritable conversion éthique ou démocratique.
Le cas Madiambal Diagne révèle ainsi un double phénomène : d’une part, la corruption morale et financière produite par la proximité avec le pouvoir, et d’autre part, le ressentiment né de la perte de ces avantages indus. Cette double dynamique éclaire la virulence des attaques actuelles contre le gouvernement de rupture : il ne s’agit pas d’un sursaut journalistique, mais d’une crise d’intérêts déchus. La critique devient un outil de revanche, une tentative de restaurer l’ancien ordre où l’information, la faveur et la rente formaient un système cohérent.
Ce constat ne vise pas à discréditer l’ensemble du corps médiatique sénégalais, mais à souligner l’existence d’un noyau d’acteurs pour qui la presse n’était pas un service public, mais un levier d’enrichissement et de pouvoir. L’affaire Madiambal Diagne n’est donc qu’un révélateur. Elle dévoile un modèle d’économie politique dans lequel les médias, loin d’être indépendants, participaient à la reproduction d’un système de domination fondé sur la connivence, la protection et la récompense.
Rompre avec ce cycle suppose plus qu’un changement de régime : il faut refonder la presse sur des bases d’intégrité, d’indépendance économique et d’éthique professionnelle. La liberté de la presse ne saurait se réduire au droit de critiquer le pouvoir du moment ; elle implique la responsabilité de servir la vérité, même au détriment de ses propres intérêts. Tant que cette exigence ne sera pas restaurée, le champ médiatique restera vulnérable aux influences politiques, oscillant entre soumission et ressentiment selon la conjoncture du pouvoir.
Par Pape Sadio Thiam


