Il a été récemment évoqué l’idée de s’inspirer d’expériences étrangères pour renforcer la structuration politique. Mais la question n’est pas de copier tel ou tel modèle ; elle est de savoir si nos institutions, notre histoire démocratique et notre culture politique permettent une telle évolution sans dérives.
Dans les pays où l’on parle d’“administration X ou Y”, il existe une tradition bien encadrée : seuls certains postes stratégiques sont occupés par des responsables politiques, tandis que l’immense majorité de l’administration reste neutre, protégée par un statut solide, une culture de service public, et d équilibre des pouvoirs. C’est ce cadre qui empêche la politisation totale de l’État.
Au Sénégal, la réalité est bien différente. L’administration est déjà fragilisée par des nominations partisanes, et des rivalités politiciennes, la justice demeure sous l’emprise de l’exécutif, le parlement manque de contrepoids, et les partis restent centrés sur des figures plus que sur des institutions durables.
Dans un tel contexte, parler de parti-État revient moins à consolider la démocratie qu’à accroître le risque d’une politisation sans limite, où l’appareil d’État devient l’instrument exclusif d’un camp.
Le discours de rupture avait pourtant soulevé l’adhésion. Il parlait au cœur comme à la raison, en promettant des changements nets : ouvrir les directions générales des sociétés publiques à de vrais appels à candidatures, dépolitiser l’administration, mettre fin à l’opacité des fonds politiques, garantir l’indépendance de la justice en retirant le président de la République du Conseil de la magistrature, briser l’ingérence de l’exécutif dans les affaires judiciaires. On annonçait aussi la sobriété de l’État, symbolisée par la remise en question de l’acquisition d un nouveau avion présidentiel jugé trop coûteux, la fin des manifestations partisanes financées en partie avec l appui de l Etat, et l’avènement d’une gouvernance inclusive, au-delà des clivages. Autant d’actes de rupture qui avaient nourri l’espoir d’un véritable renouveau.
Mais cet espoir s’est vite effacé. Car ces promesses, une à une, ont été reniées : la justice demeure instrumentalisée, l’avion présidentiel vole toujours, et même pour aller présider des manifestations politiques partisanes, les fonds politiques restent opaques, et la gouvernance inclusive n’a jamais dépassé le stade du slogan. De là, naît un désenchantement profond, à la mesure des attentes initiales.
Et pendant ce temps, les urgences s’aggravent : l’emploi des jeunes s’éloigne, la migration par la mer continue, les inondations plongent des familles dans la détresse. Les espoirs nés de la rupture se dissolvent dans une logique de revanche et de captation du pouvoir.
Nous ne voulons pas d’une administration faite pour Mademba ou Massamba. Nous voulons une administration républicaine, dépolitisée, régie par le culte de l’excellence. Voilà la véritable rupture.
Derrière l’emprunt de vocabulaire, ce qui se dessine est clair : la construction d’un appareil partisan qui, au lieu de servir l’État, risque de l’asservir. Nous avons besoin d’un État impartial, d’une justice indépendante, d’une administration neutre, et de réponses concrètes aux défis du quotidien.
La trajectoire semble tracée car l’histoire le montre : le populisme au pouvoir mène toujours au même point final — le reniement, l’impasse et, inévitablement, l’échec.
À moins qu’un sursaut collectif, porté par une lucidité retrouvée, ne transforme ce désenchantement en énergie constructive. Alors, l’exception sénégalaise prouvera, une fois encore, sa vitalité. L’espoir est toujours permis.
Souley Wade