» Quand l’idéologie l’emporte sur le droit, c’est la République qu’on enterre ».
Le député Amadou Ba, membre du parti PASTEF, vient, encore une fois, envenimer le débat public. Il relance une proposition pour le moins déroutante: permettre la poursuite judiciaire des personnes décédées, afin, dit-il, de pouvoir saisir leurs biens jugés mal acquis. Une initiative aussi étrange dans sa forme que dangereuse dans son fond.
Le droit ne juge pas les morts
L’une des premières leçons enseignées en faculté de droit, c’est que l’action publique s’éteint dans certains cas bien définis, reconnus universellement : L’amnistie, l’abrogation de la loi pénale, la prescription, le retrait de la plainte, la chose jugée, la transaction…
Et surtout : le décès du prévenu.
Ce principe n’est pas un détail anecdotique du droit pénal : il est au cœur de l’idée de justice moderne. En effet, à la mort d’un individu, sa personnalité juridique prend fin. Il cesse d’être un sujet de droit. Il ne peut plus être poursuivi, ni se défendre, ni être représenté par un avocat.
Alors, comment juger un mort ?
Comment imaginer un procès équitable contre une personne sans défense, sans présence, sans existence juridique ?
La dignité humaine ne s’arrête pas au cimetière
Dans notre culture, comme dans toute société civilisée, les morts ont droit au respect. Les insulter ou les accuser sans preuve, c’est blesser les vivants : leur famille, leurs héritiers, leur communauté.
C’est aussi violer la présomption d’innocence, principe sacré qui protège tout être humain tant qu’aucune condamnation définitive n’a été prononcée.
Qualifier publiquement les biens d’un défunt d’ »argent volé » sans jugement est un acte de diffamation posthume, une forme de violence symbolique inacceptable dans un État de droit.
Quand la passion efface la raison
La proposition du député Amadou Ba ne relève ni du bon sens juridique, ni de l’éthique, ni même du pragmatisme. Elle s’apparente plutôt à un populisme revanchard, fondé sur la colère, le soupçon et la démagogie.
Il existe pourtant, dans notre droit positif, des mécanismes clairs pour récupérer les biens mal acquis :Une fois un jugement prononcé avant la mort, les biens peuvent être saisis.
En l’absence de jugement, les héritiers, en acceptant la succession, assument aussi le passif (dettes, obligations) conformément à l’article 200 du Code des obligations civiles et commerciales (COCC).
Pas besoin donc d’inventer un « procès contre les morts » pour faire valoir les droits de la société.
Il suffit d’appliquer la loi existante, avec rigueur et impartialité.
Vers un glissement dangereux
Ouvrir la voie à des poursuites contre les défunts, c’est ouvrir la boîte de Pandore des procès politiques post-mortem.
C’est transformer la justice en un théâtre de vengeance idéologique.
C’est substituer la rationalité du droit à la brutalité de l’opinion.
Or, la République ne peut aucunement pas fonctionner sur la base d’émotions, de frustrations ou de règlements de comptes.
Elle repose sur le droit, le respect des libertés, et la mémoire des principes fondateurs.
La sagesse comme boussole
Plutôt que d’initier des lois fantaisistes, nos représentants devraient se concentrer sur les véritables réformes de la justice : son indépendance, son accessibilité, son efficacité.
Juger un mort, c’est condamner les vivants à l’insécurité juridique.
Et dans une République digne de ce nom, la justice ne danse pas sur les tombes.
BBF