La junte bissau-guinéenne passe à l’offensive et exige le retrait des forces de la CEDEAO Par Paul Ejime

La junte bissau-guinéenne a exigé le « retrait immédiat » de la Mission d’appui à la stabilisation de la CEDEAO (ESSMGB), forte de 500 hommes, dans un nouvel acte de défiance envers le bloc régional.

Des critiques avaient même accusé la CEDEAO de faire preuve de complaisance envers les putschistes et leur cerveau présumé, l’ancien président Umaro Sissoco Embalo.

Dans une correspondance officielle datée du 22 décembre et adressée au président de la Commission de la CEDEAO, le Dr Omar Touray, la junte dirigée par le général Horta Inta-A «…demande formellement le retrait immédiat des forces de sécurité de la CEDEAO déployées en Guinée-Bissau, conformément aux résolutions contenues dans le Communiqué final de la 68e session ordinaire» des dirigeants de la CEDEAO.

Selon un communiqué du ministère des Affaires étrangères, de la Coopération internationale et des Communautés, le retrait des forces de sécurité de la CEDEAO vise à permettre au « processus de transition de se dérouler sous la direction du gouvernement de transition, avec la pleine participation de tous les courants politiques et de la société civile, garantissant les libertés fondamentales, l’État de droit et le respect des procédures légales ».

Lors de leur sommet du 14 décembre à Abuja, au Nigéria, les dirigeants de la CEDEAO ont ratifié la suspension de la Guinée-Bissau suite au coup d’État militaire du 23 novembre, perpétré, selon toute vraisemblance, par Embalo afin d’éviter une défaite électorale.

Fernando Dias da Costa, qui a revendiqué la victoire à l’élection présidentielle, s’est réfugié à l’ambassade du Nigéria à Bissau, tandis que plusieurs dirigeants de l’opposition sont toujours détenus par la junte, malgré la demande de libération formulée par la CEDEAO.

Des sources proches de la junte ont indiqué que certains détenus seraient traduits en justice.

Le sommet de la CEDEAO avait également exigé un programme de transition court, rejetant celui de douze mois annoncé par la junte, composée principalement de fidèles d’Embalo, dont le général Inta-A, ancien chef de la Garde présidentielle, et le Premier ministre Ilídio Vieira Té, son directeur de campagne lors des élections du 23 novembre.

La junte, qui a pris le pouvoir le 26 novembre, la veille de la proclamation des résultats des élections législatives et présidentielles par la Commission nationale électorale (CNE), s’est retranchée au pouvoir, nommant un gouvernement de 28 membres afin de consolider son emprise.

Des sources diplomatiques estiment qu’Embalo tire les ficelles depuis un refuge tenu secret. Après le coup d’État, les autorités sénégalaises ont organisé son évacuation vers Dakar, d’où il s’est rendu au Congo-Brazzaville, puis au Maroc.

Actuellement, son épouse et des proches collaborateurs sont poursuivis à Lisbonne pour contrebande et blanchiment d’argent, après la découverte par les autorités portugaises de cinq millions d’euros à bord d’un avion privé.

En 2020, suite à sa victoire contestée à l’élection présidentielle, Embalo a exigé le retrait de la mission militaire de la CEDEAO en Guinée-Bissau, avant d’en demander le retour après une tentative de coup d’État présumée contre son gouvernement en 2022.

Son régime se caractérise par une répression féroce de l’opposition, de la société civile et des médias, dans un contexte d’instabilité politique marquée par quatre tentatives de coup d’État présumées. Il a utilisé les deux premières, en 2022 et 2023, comme prétexte pour suspendre la constitution et s’emparer du pouvoir en dictateur.

En octobre, juste avant le putsch du 26 novembre, Embalo a également instrumentalisé une troisième tentative de coup d’État pour faire arrêter des officiers et des figures de l’opposition, toujours détenus.

La CEDEAO avait également décidé d’envoyer deux délégations, l’une conduite par le Président de l’Autorité et l’autre par le Comité régional des chefs d’état-major des armées.

Cependant, selon des sources diplomatiques, la junte dirigée par Horta Inta-A, dans un nouvel acte de défiance, a refusé la demande de visite du Comité de la CEDEAO, tout en recevant une délégation ministérielle sénégalaise à Bissau le week-end dernier.

En mars, Embalo a menacé d’expulser une mission d’enquête conjointe CEDEAO-Nations Unies en Guinée-Bissau pour avoir osé rencontrer des partis d’opposition et des organisations de la société civile.

Comme dans plusieurs autres cas de violations flagrantes des protocoles et textes de la CEDEAO, aucune conséquence n’a été tirée. On estime qu’Embalo et d’autres dirigeants régionaux comme lui se sont enhardis dans l’impunité et les dérives autoritaires, ce qui les rend responsables de la recrudescence des ingérences militaires dans la vie politique régionale.

Cinq des quinze États membres de la CEDEAO – le Mali, le Burkina Faso, le Niger, la Guinée et la Guinée-Bissau – sont désormais gouvernés par des militaires. La Guinée prévoit des élections de transition la semaine prochaine (28 décembre), tandis que les juntes du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont retiré leurs pays de la CEDEAO pour former l’Alliance des États du Sahel (AES).

La junte de Guinée-Bissau envisagerait de rejoindre le groupe AES. Cependant, des observateurs avertissent qu’une telle décision pourrait être catastrophique pour la région et, en particulier, pour ce « narco-État » en proie à l’instabilité politique et qui dépend principalement du soutien financier de ses partenaires au développement pour son budget annuel.

Hormis le Libéria et la Sierra Leone, où la CEDEAO a mis fin aux guerres civiles, la Guinée-Bissau représente un gouffre financier pour le bloc régional.

Selon des sources bien informées, la CEDEAO dépense environ un million de dollars américains pour les frais de personnel mensuels de la Mission d’appui au secteur de la sécurité en Guinée-Bissau (ESSMGB), hors frais opérationnels. Le bloc régional engage également des dépenses similaires pour une mission analogue en Gambie, ce qui porte la dette des pays contributeurs de troupes à plus de 60 millions de dollars américains.

Depuis 2012, la CEDEAO soutient la stabilisation politique, socio-économique et sécuritaire de la Guinée-Bissau, notamment par l’électrification de sa capitale, Bissau, à hauteur de plusieurs millions de dollars, comme les 500 000 dollars américains d’aide financière pour les élections du 23 novembre.

La mise en œuvre de la réforme du secteur de la sécurité menée par la CEDEAO en Guinée-Bissau, convenue dans le cadre de l’Accord de Paris, a également été compromise. L’Accord de paix de Conakry de 2016 est au point mort, entaché par l’intolérance politique et les luttes intestines au sein du régime.

Les analystes considèrent le coup d’État du 26 novembre comme une erreur stratégique d’Embalo, qui a manifestement sous-estimé les réactions internationales négatives qui allaient suivre.

Mais l’expulsion des forces militaires de la CEDEAO, qui l’ont protégé ces cinq dernières années, et même l’éventualité d’une adhésion aux pays de l’AES, avec lesquels la Guinée-Bissau ne partage aucune frontière, relèvent du désespoir d’un dictateur aveuglé par son ambition personnelle, indifférent à son pays et aux plus de 400 millions de citoyens de la Communauté.

La CEDEAO est confrontée à une tâche herculéenne.

Embalo a dévoilé ses intentions, sans l’ombre d’un doute.

Si ses sympathisants parmi ses pairs dans la région ne se remettent pas en question et ne changent pas de cap après les derniers événements, la démocratie et la bonne gouvernance n’ont aucune chance dans cette zone d’Afrique, théâtre de nombreux coups d’État.

 

Paul Ejime est un Spécialiste des médias et des communications et analyste des affaires mondiales

Momar Diack SECK
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