Dans son allocution lors du Forum africain sur les systèmes alimentaires 2025, dont il présidait la cérémonie d’ouverture, Bassirou Diomaye Faye a appelé les Africains à briser “le vieux mythe” selon lequel l’agriculture est un secteur de survie, réservé aux adultes sans perspectives. Il a décliné une vision plus moderne, appelant le continent à valoriser son potentiel économique pouvant même nourrir le reste du monde. Voici l’intégralité de son discours
Monsieur le Président de la République du Rwanda, chers frère Paul Kagame,
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président du Conseil d’Administration de l’Alliance pour une Révolution Verte en Afrique,
Monsieur le Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique et représentant du Secrétaire général des Nations Unies,
Monsieur le Président du Fonds International de Développement Agricole,
Mesdames, Messieurs les membres du Corps diplomatique,
Monsieur le Représentant du Président de la Commission de l’Union Africaine,
Distingués invités,
Mesdames, Messieurs,
Le Sénégal se réjouit d’accueillir la 19ème édition du Forum sur les systèmes alimentaires africains.
Je souhaite la bienvenue et un agréable séjour à nos hôtes.
Je dois en premier lieu remercier chaleureusement le Président Paul Kagamé qui nous honore de sa présence à ce Forum. Monsieur le Président, je sais combien votre agenda est chargé. Merci d’être venu.
Merci à toutes et à tous d’avoir répondu à l’invitation du Sénégal.
Votre présence à Dakar aujourd’hui traduit tout l’intérêt que nous accordons ensemble au secteur de l’agriculture, pour en faire une base de souveraineté alimentaire en Afrique.
Je tiens également à féliciter le Président du Conseil d’administration et tous les membres de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), coorganisateur de cette rencontre, pour la priorité qu’ils accordent à la lancinante question de l’alimentation en Afrique.
Mesdames et Messieurs,
Au moment où nous sommes réunis ici, des millions de femmes et d’hommes sont dans les champs à la faveur de la saison des pluies.
Pour la plupart, ils travaillent la terre à force de bras ou à l’aide de machines rudimentaires, et ne peuvent compter que sur quelques mois pluvieux.
Avec cette activité, ces braves femmes et hommes nourrissent l’espoir d’obtenir des récoltes qui leur serviront de base alimentaire pour toute l’année.
Cela nous rappelle que de nos jours encore, en Afrique, plus que dans le reste du monde, l’agriculture est toujours sujette à des phénomènes météorologiques aléatoires non maitrisés, aggravés par les changements climatiques.
Ce qui limite fortement nos capacités de production dans le temps et dans l’espace.
En plus, la faiblesse des rendements et les pertes post récoltes, pouvant aller jusqu’à 30% des produits récoltés, sont autant de facteurs qui contribuent à la persistance de la faim et de la sous-alimentation dans notre Continent.
La prise en charge des systèmes alimentaires devient alors une urgence de première nécessité. Les chiffres parlent d’eux même.
Selon le rapport de la FAO publié en 2024 sur l’état de la sécurité alimentaire, plus de 700 millions de personnes ont souffert de la faim dans le monde durant l’année précédente, en particulier en Afrique.
Cette situation nous éloigne davantage de l’atteinte de l’objectif de développement durable numéro 2 (ODD), c’est-à-dire zéro cas de faim à l’horizon 2030.
Pire encore, si les tendances actuelles persistent, plus d’un demi-milliard de personnes seront sous-alimentées de manière chronique en 2030, parmi lesquelles la moitié vivra en Afrique.
Le Continent est donc celui qui risque le plus de faire face à l’insécurité alimentaire.
Pourtant notre continent a tout le potentiel qu’il faut pour atteindre l’autosuffisance alimentaire. Mieux, avec ses atouts, l’Afrique pourrait contribuer à nourrir le monde.
Etablie sur une superficie de plus de 30 millions de km2, le continent détient environ 65% des terres arables dans le monde et d’importantes ressources hydriques.
S’y ajoute une main d’oeuvre abondante que lui confère la jeunesse de sa population, 60% ayant moins de 25 ans. Et selon les projections, le continent sera peuplé de 2,5 milliards de personnes en 2050, dont 600 millions de jeunes supplémentaires en âge de travailler.
Nous sommes alors à un tournant décisif qui commande de mettre la jeunesse au coeur de nos politiques de développement.
C’est toute la pertinence du thème de nos travaux d’aujourd’hui « jeunesse, fer de lance de la collaboration, de l’innovation et de la transformation des systèmes alimentaires ».
Pour faire de la jeunesse africaine le moteur du développement agricole, il nous faut assurer une éducation et une formation, qui répondent aux besoins d’une agriculture moderne, intensive et durable.
Ils doivent ensuite être responsabilisés et même associés à la formulation de nos politiques agricoles.
Mais cela ne suffira pas !
Pour transformer durablement l’agriculture, nous devons aussi investir massivement dans la modernisation des outils et méthodes de production ; le développement de semences et de spéculations adaptées au changement climatique ; la maitrise de l’eau ; le développement des chaines de valeur agricole, notamment par la transformation locale des produits ; ainsi que la digitalisation.
Une telle démarche nécessitera la mobilisation de moyens conséquents comme nous le rappelle la déclaration de Maputo de 2023 qui recommande l’allocation au moins de 10% du budget national à l’agriculture.
C’est ce que nous faisons au Sénégal à travers la mise en oeuvre de l’agenda national de transformation, dont l’agriculture est un des grands piliers.
Elle est le moteur central pour atteindre la souveraineté alimentaire, le développement économique et le bien-être des populations.
Nous investissons dans des modèles de production inclusifs et durables tels que les Coopératives Agricoles Communautaires (CACs), pour réduire notre dépendance aux importations de denrées de base.
Nous avons aussi entamé des réformes importantes, notamment sur la loi sylvopastorale, la régulation des importations et la transparence dans la gestion des intrants agricoles.
S’y ajoute les programmes de soutien à la production agricole, la construction d’infrastructures de stockage des récoltes, et une politique ambitieuse de maitrise de l’eau et de mécanisation agricole.
Mesdames, Messieurs,
Pour se nourrir, l’Afrique devra compter d’abord sur elle-même. Elle doit s’inscrire dans une dynamique de solutions endogènes, en puisant dans son énorme potentiel.
Ensemble, travaillons à briser le vieux mythe selon lequel l’agriculture est un secteur de survie, réservé aux adultes sans perspectives.
Rendons les campagnes plus attractives par leur désenclavement, l’accès aux services sociaux de base, et des investissements mettant en valeur le potentiel économique de chacune d’elle.
Œuvrons à la promotion du commerce intra africain en saisissant les opportunités de la Zone de Libre-Échange continentale africaine (ZLECAf), pour faciliter un accès rapide aux produits et leur écoulement.
Encourageons l’émergence d’un secteur privé fort capable d’investir dans l’agrobusiness et d’approvisionner nos marchés domestiques, et de vendre les surplus à l’extérieur. Un secteur privé capable d’accompagner les processus d’industrialisation par le développement de chaines de valeur au niveau local.
Unissons nos volontés, mobilisons nos ressources, et faisons de la création de systèmes alimentaires robustes, le moteur d’une renaissance africaine fondée sur la souveraineté et le développement partagé.
Je suis persuadé que notre jeunesse est prête pour relever le défi. Elle a l’énergie, la créativité et la détermination. À nous dirigeants de lui offrir les moyens d’agir.
Je salue tous les acteurs des systèmes alimentaires présents et les appelle à se mobiliser avec nous pour réussir ensemble le pari de faire de l’agriculture un choix de carrière désirable pour les jeunes africains, et de réaliser l’autosuffisance alimentaire.
Je déclare maintenant ouverts les travaux du 19ème Forum africain des systèmes alimentaires et vous remercie de votre attention.
Nota
Seul le discours prononcé fait foi