Au cours des deux dernières années, le Nigéria, pays le plus peuplé d’Afrique, a mis en œuvre des réformes difficiles pour surmonter les obstacles persistants qui pèsent sur son économie. Si ces réformes commencent à porter leurs fruits, la pauvreté et l’insécurité alimentaire restent élevées, et l’incertitude du contexte mondial pose des défis supplémentaires. Comme indiqué dans notre dernier bilan annuel de santé économique de ce pays d’Afrique de l’Ouest, des politiques adaptées peuvent aider le Nigéria à réaliser son potentiel de puissance économique africaine et mondiale.
Un départ difficile
Lors de son entrée en fonction en 2023, le nouveau gouvernement a été confronté à une faible croissance et à une pauvreté croissante. Entre 2014 et 2023, le PIB réel par habitant a diminué en moyenne de 0,7 % par an. En 2023, le taux de pauvreté s’élevait à 42 %. Cette situation difficile a été aggravée par un accès limité au dollar, obligeant les populations à se tourner vers le marché parallèle des devises et à payer un prix bien supérieur au taux officiel. Parallèlement, les finances publiques ont été mises à rude épreuve par un système opaque de subventions aux carburants, qui a également entraîné des pénuries récurrentes d’essence. De plus, le financement du déficit budgétaire par la banque centrale a alimenté l’inflation.
Pour répondre à ces défis, les décideurs nigérians ont lancé une série de réformes audacieuses au cours des deux dernières années. En 2023, le nouveau gouvernement et la Banque centrale du Nigéria ont libéralisé le marché des changes, mis fin au financement du déficit budgétaire par la banque centrale et réformé les subventions aux carburants. Le gouvernement a également renforcé le recouvrement des recettes, qui reste l’un des plus faibles au monde.
Depuis la mise en œuvre de ces réformes, les réserves internationales ont augmenté et chacun peut désormais accéder aux devises sur le marché officiel. Le Nigéria a réintégré avec succès les marchés financiers internationaux en décembre dernier et a récemment été rehaussé par les agences de notation. Une nouvelle raffinerie privée nationale positionne le Nigéria en amont de la chaîne de valeur sur un marché entièrement déréglementé.
Graphique linéaire montrant la croissance des réserves internationales du Nigéria en mois d’importations de l’année prochaine de 2021 à 2024, avec une augmentation notable à partir de 2023.
Les travaux se poursuivent.
Si les progrès sont encourageants, d’importants défis subsistent. L’inflation dépasse toujours les 20 %. La médiocrité des infrastructures, notamment électriques, freine l’activité économique. La pauvreté et l’insécurité alimentaire restent élevées. Le Nigéria ne dispose pas d’un système de protection sociale efficace pour amortir l’impact des chocs sur les plus vulnérables.
De plus, l’environnement mondial pose de nouveaux défis, avec une incertitude élevée et des coûts d’emprunt élevés. Le Nigéria est particulièrement touché par la volatilité des prix internationaux du pétrole, car les recettes pétrolières représentent une part importante des recettes publiques, un chiffre qui s’élevait à 30 % en 2024.
Priorités politiques
Pour relever ces défis, le Nigéria doit se concentrer sur trois priorités clés :
Premièrement, le pays a besoin d’une croissance plus forte et plus soutenue pour sortir des millions de personnes de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire, ce sur quoi les autorités se concentrent. Cela ne se fera pas du jour au lendemain. Parallèlement, une croissance plus inclusive nécessite également le renforcement du système de transferts monétaires existant.
Graphique linéaire illustrant le PIB par habitant du Nigéria, des marchés émergents et des économies en développement, ainsi que de l’Afrique subsaharienne.
Deuxièmement, le Nigéria a besoin d’un cadre budgétaire efficace, élément essentiel du développement économique. Des investissements efficaces dans les ressources humaines et les infrastructures nécessitent des hypothèses budgétaires réalistes, une gestion rigoureuse des dépenses, ainsi qu’une mise en œuvre et un reporting transparents, ce qui, à son tour, peut renforcer la responsabilisation. De son côté, la politique monétaire doit continuer de lutter résolument contre l’inflation et de réduire l’incertitude économique.
Troisièmement, le gouvernement doit continuer d’accroître les recettes intérieures. Ceci est essentiel compte tenu des besoins de financement importants du Nigéria dans des secteurs porteurs de croissance tels que l’agriculture, les infrastructures, y compris l’accès à l’électricité, et l’adaptation au changement climatique. Les réformes fiscales du gouvernement faciliteront le paiement des impôts et garantiront que tous ceux qui en paient s’en acquittent. À terme, une fois la crise actuelle du coût de la vie atténuée et le système de transferts monétaires pleinement opérationnel, il sera possible d’aligner les taux d’imposition sur ceux des pays voisins. Pour l’instant, la part des recettes consacrée aux dépenses d’intérêts laisse trop peu de place aux investissements dans les ressources humaines et les infrastructures. Il est donc crucial que les importantes économies réalisées grâce à la suppression des subventions aux carburants soient reversées au gouvernement pour financer les dépenses prioritaires.
Le potentiel du Nigéria est indéniable, mais sa réalisation nécessitera des réformes continues et un système de protection sociale efficace pour accompagner les plus vulnérables.
Axel Schimmelpfennig est chef de mission du FMI au Nigéria et directeur adjoint du Département Afrique du FMI.
Christian Ebeke est le représentant résident du FMI au Nigéria.