Déguerpissements à Dakar : une nécessité mal exécutée ( Cheikh Hamidou Kane)

Depuis quelques jours, des opérations de déguerpissement sont menées à Dakar et à l’intérieur du pays, sous l’impulsion du ministère de l’Intérieur. L’objectif affiché est de mettre fin à l’occupation anarchique de la voie publique et à l’urbanisation sauvage, que dénoncent depuis longtemps de nombreux citoyens.

En effet, la capitale suffoque : vendeurs ambulants, gargotiers, « tabliers » et autres petits commerçants s’installent sur les trottoirs, au détriment de la circulation, de l’hygiène et du cadre de vie. Ce désordre urbain crée un sentiment d’étouffement chez les Dakarois, lassés de vivre dans une ville devenue presque invivable.

Si faire face à cette anarchie est indispensable, la manière dont les opérations de déguerpissement sont actuellement menées laisse à désirer. Elles ne sont ni opérantes, ni efficaces à long terme.

L’histoire récente nous l’a prouvé : tous les régimes précédents ont lancé de telles opérations, mais elles n’ont jamais produit de résultats durables. Une fois la pression médiatique retombée, les mêmes commerçants réinvestissent les lieux, souvent avec l’assentiment tacite de certaines autorités locales.

Au lieu de s’en prendre uniquement aux manifestations visibles de l’occupation anarchique, il est impératif de s’attaquer à ses causes profondes.

En premier il faut lutter contre l’exode rural pour éviter le déplacement massif des  populations dans les centres urbains . Pour se faire il faut développer les pôles territoires avec une politique agricole et industrielle en parfaite adéquation selon chaque zone.

Ensuite il faut interroger le rôle des collectivités locales, qui délivrent parfois des autorisations précaires ou perçoivent des taxes journalières auprès de ces commerçants. Ces pratiques, en apparence légitimes, renforcent dans l’esprit des intéressés l’idée qu’ils disposent d’un droit d’occupation.

Le ministère de L’urbanisme des Collectivités territoriales et de l’aménagement des territoires en synergie avec celui de l’Intérieur, devrait prendre des mesures fermes à l’encontre des collectivités complices. Il pourrait même être envisagé de réclamer le remboursement des sommes indûment perçues, afin de les réinvestir dans l’aménagement de sites dédiés aux petits commerçants.

Il est tout aussi urgent que l’État prévoie des sites de recasement avant toute opération de déguerpissement. Il doit également procéder rapidement à l’aménagement des espaces libérés pour éviter qu’ils ne soient de nouveau occupés de manière illégale.

N’oublions pas que les activités informelles de ces personnes génèrent des revenus non négligeables, permettant de faire vivre de nombreuses familles. Le Sénégal compte moins de 500 000 salariés formels pour plus de 18 millions d’habitants. Dans ce contexte de chômage massif et de pauvreté endémique, retirer leur seul moyen de subsistance à des milliers de Sénégalais, sans alternative, est socialement risqué.

Une simple visite au niveau des Ronds Point Keur Masar ou Liberté 6 suffit pour constater que certains commerçants n’occupent que 2 à 3 mètres carrés. Pourquoi ne pas leur aménager des box réglementés, dans des zones bien identifiées ? Cette solution permettrait de :

– Recenser tous les bénéficiaires ;

– Collecter des données fiables pour un accompagnement adapté ;

– Définir une politique fiscale équitable et réaliste pour ce secteur.

Déguerpir, oui : Recaser, accompagner et formaliser ces petits commerces, c’est encore mieux. À défaut, ces opérations risquent, comme tant d’autres avant elles, de n’être que des coups d’épée dans l’eau.

Cheikh Hamidou Kane

Dieyna SENE
Up Next

Related Posts