Post Vu sur la page Facebook de Abdoul Mbaye, ancien PM, lettre parue sur le quotidien
le Soleil du mercredi 3 mars 1993, voici l’intégralité de la lettre de démission que le président Kéba Mbaye a envoyé au président de la République le 3 mars 1993.
Monsieur le Président,
Quand vous m’aviez proposé de me nommer au poste de président du Conseil constitutionnel, je n’avais accepté que parce que je croyais que je pouvais encore servir mon pays et contribuer une nouvelle fois à la consolidation de son évolution vers la démocratie, la justice et la fraternité.
Je venais de terminer ma mission de président de la Commission nationale de réforme du code électoral.
Cette mission, je crois l’avoir accomplie en mon âme et conscience dans l’estime et le respect de ceux, membres ou non des partis politiques, qui ont participé avec moi à l’élaboration difficile de notre nouveau code qui, pour moi, reste une œuvre de premier ordre.
Monsieur le Président,
J’avais quitté de mon propre gré la Cour internationale de Justice de La Haye (fonction la plus honorifique et la plus rétribuée à laquelle un juriste puisse rêver) pour me reposer. Mais je n’ai pas pu résister à deux appels que vous m’avez adressés et que je croyais correspondre à l’attente de mon pays:
l’un pour diriger la Commission nationale de réforme du code électoral et l’autre pour présider le Conseil constitutionnel.
Le nouveau code électoral, ce sont les partis politiques qui l’ont voulu. Ils l’ont eux-mêmes adopté. C’est leur enfant, mais il est aussi un peu le mien. J’y croyais. Je me disais qu’il allait servir à l’élévation des mentalités vers l’acceptation sans réserve du jeu démocratique. Malheureusement, ce qui se passe sous mes yeux me démontre que je me suis trompé.
Je n’accuse personne. Je constate un fait: je me suis trompé et toute erreur de cette nature est un échec, qui rejaillit lourdement sur mes fonctions actuelles.
Alors j’ai décidé de vous présenter ma démission du poste de président du Conseil constitutionnel pour compter de demain, 3 mars 1993.
J’espère, apres avoir rendu avec mes collègues du Conseil, une décision d’espoir, et l’avoir assortie de ma démission, pouvoir ainsi contribuer à persuader les hommes politiques de mon pays en qui j’ai toujours une grande confiance, que notre code électoral est bon, mais qu’il nécessite pour produire tous ses effets, une adhésion sans réserve aux règles du jeu démocratique. J’ai le grand espoir qu’ils sauront très bientôt abandonner leurs querelles partisanes au profit d’une croisade commune, profondément et largement concertée, afin que règne la fraternité dans la démocratie et pour le travail opiniâtre au profit exclusif du Sénégal et de son vaillant peuple.
J’ai pris ma décision sans avoir consulté mon guide, Serigne Abdoul Aziz Sy, et ma vieille mère, qui m’avaient exhorté à accepter ma charge. Qu’ils me pardonnent de n’avoir pas pris leur avis comme je le fais toujours avant chacune de mes décisions. Mais je sais qu’ils comprendront que mon attitude n’est inspirée que par l’intérêt du Sénégal, aussi je suis sûr qu’ils m’approuveront.
Que Dieu assiste mon pays et bénisse mes compatriotes.
En vous remerciant, Monsieur le Président, de m’avoir fait confiance, je vous prie d’agréer l’assurance de mon profond respect.
Kéba Mbaye