L’annonce d’un taux de croissance de 5 % du PIB pour 2026 peut sembler encourageante, surtout dans un contexte mondial incertain et de rigueur budgétaire. Mais en réalité, ce chiffre, bien qu’honorable sur le plan macroéconomique, est largement insuffisant pour relever le défi le plus pressant du Sénégal : l’emploi des jeunes.
Une croissance trop faible pour absorber la jeunesse
Selon les données récentes de l’ANSD, la population active du Sénégal s’élève à près de 11,7 millions de personnes, dont 4,9 millions en emploi. L’élasticité emploi-croissance, qui mesure la capacité de la croissance à générer des emplois, est estimée à 0,6. Autrement dit, chaque point de croissance du PIB se traduit par environ 29 000 emplois supplémentaires.
Avec une croissance prévue de 5 %, l’économie sénégalaise pourrait créer autour de 145 000 emplois. Or, le marché du travail enregistre entre 200 000 et 300 000 nouveaux entrants chaque année.
Cette dynamique laisse un déficit annuel de 50 000 à 150 000 emplois, aggravant le chômage et le sous-emploi, en particulier parmi les jeunes et les femmes.
Des limites structurelles bien connues
Ce déséquilibre persiste depuis plusieurs années. La croissance, bien que soutenue, reste tirée par des secteurs à faible intensité de main-d’œuvre : hydrocarbures, télécommunications, finance, grands travaux publics. Ces secteurs stimulent le PIB mais créent peu d’emplois directs.
Les activités à forte intensité de travail — agriculture, transformation agroalimentaire, artisanat, BTP local, services marchands — peinent encore à se hisser au cœur de la stratégie économique nationale.
Résultat : la croissance ne se traduit pas en emplois décents ni en amélioration significative du pouvoir d’achat. Le Sénégal connaît donc une croissance sans emploi (jobless growth), un phénomène typique des économies en transition structurelle lente.
Ajustement budgétaire : un virage à rendre productif
En cette période d’ajustement budgétaire, il est indispensable de réduire les dépenses de fonctionnement de l’État – notamment les charges administratives, les avantages non productifs et les doublons institutionnels – afin de réorienter les ressources vers l’investissement public.
Les infrastructures de base (routes, énergie, numérique, hydraulique), la formation professionnelle, la santé et la productivité agricole doivent redevenir les priorités budgétaires. C’est à cette condition que la dépense publique deviendra un levier d’emploi plutôt qu’un simple outil de gestion courante.
Pour une croissance pro-emploi
Le Sénégal doit viser une croissance non seulement plus forte (7 à 8 % par an), mais surtout plus inclusive et plus intensive en travail.
Cela suppose :
- Une stratégie industrielle et agricole articulée, fondée sur la transformation locale et la création de chaînes de valeur.
- Une politique d’emploi active : incitations à l’embauche, soutien aux PME, promotion de l’entrepreneuriat et de la formalisation progressive du travail.
- Une gouvernance budgétaire exemplaire, orientée vers l’investissement productif et la réduction des inégalités territoriales.
Pour conclure, nous disons que le taux de croissance de 5 % prévu pour 2026 ne permettra pas de stabiliser le chômage ni de répondre à la pression démographique.
Sans un changement profond dans la composition de la croissance et la gestion du budget, le pays risque de continuer à croître sans créer suffisamment d’emplois durables.
Réduire le train de vie de l’État, investir dans les secteurs productifs et promouvoir une croissance inclusive : voilà les véritables priorités.
Pr Amath Ndiaye
FASEG-UCAD


