Le baccalauréat 2025 ne doit pas être un simple épisode polémique. Dans cette lettre ouverte, Serigne Touba Gueye, enseignant de mathématiques, tire la sonnette d’alarme sur les dysfonctionnements relevés dans les épreuves de cette année. Il invite les autorités à transformer cette crise en opportunité pour repenser en profondeur les contenus, les méthodes d’évaluation et l’équité dans l’école sénégalaise. Voci l’intégralité de sa lettre aux autorités :
Lettre ouverte de Serigne Touba Gueye, professeur de mathématiques,
adressée à Monsieur l’Inspecteur Général de l’Éducation et de la Formation en Mathématiques,
Monsieur le Ministre de l’Éducation nationale,
Monsieur le Directeur de l’Office du Baccalauréat
Objet : Éclairages critiques et propositions pédagogiques autour des épreuves de mathématiques du Baccalauréat 2025
Messieurs,
Permettez qu’un humble serviteur de l’école sénégalaise vous adresse, avec tout le respect dû à vos hautes fonctions, quelques observations et suggestions nées d’une profonde inquiétude partagée par nombre d’acteurs du terrain, à la suite des épreuves de mathématiques du Baccalauréat 2025. Il ne s’agit ni d’une plainte, ni d’un réquisitoire, mais d’un appel à la lucidité et à la responsabilité, dans un esprit de loyauté envers notre système éducatif et les élèves qui le font vivre.
Les épreuves proposées cette année, dans leurs diverses séries, ont en effet suscité une onde de perplexité que nous ne saurions ignorer. Il nous faut avoir le courage d’en tirer les leçons.
En série S2, l’épreuve de mathématiques a été particulièrement critiquée, notamment l’exercice 2, dont la formulation approximative et le flou méthodologique ont sérieusement entravé la compréhension des candidats. Il ne s’agit pas seulement d’un problème de difficulté, mais de lisibilité et de rigueur dans la rédaction même des consignes. Il est essentiel que les énoncés soient irréprochables dans leur construction, car de leur clarté dépend l’équité entre tous les candidats.
Il a été évoqué que ces ajustements s’inscrivent dans la perspective d’une harmonisation sous-régionale avec le Baccalauréat UEMOA. Si l’intention est louable, encore faut-il que la mise en œuvre suive une démarche progressive, cohérente, et surtout préparée en amont. Or, à ce jour, ni les enseignants, ni les élèves, ni même les structures de formation ne semblent suffisamment outillés pour aborder sereinement ce type de mutation. L’introduction brutale de situations dites « complexes », sans pédagogie préparatoire, revient à ériger une barrière plutôt qu’un pont.
Il serait par ailleurs pertinent d’introduire l’arithmétique dans le programme de la S2, tant cette discipline constitue un socle fondamental dans la formation de l’esprit scientifique. Son intitulé se fait d’ailleurs sentir au niveau des technologies de l’information et de la communication, avec la fidélisation, la sécurisation et la confidentialité dans la transmission des données. De même, le coefficient des mathématiques dans cette série gagnerait à être revalorisé, pour mieux refléter sa vocation scientifique.
Concernant la série S1, l’épreuve, quoique bien construite dans l’ensemble, s’est révélée excessivement longue, dense et exigeante, au point de sembler davantage relever d’un concours sélectif que d’un examen de fin de cycle secondaire. Il est pourtant de notre devoir de concevoir des évaluations qui tiennent compte non pas uniquement de l’élite, mais aussi de l’élève moyen, qui constitue le cœur de la classe et dont les efforts doivent être reconnus. L’ambition pédagogique ne doit pas ignorer les réalités du terrain.
Sur le plan du programme, certains chapitres, tels que les coniques ou les applications affines, pourraient être allégés, voire reportés à des niveaux ultérieurs, sans que cela ne nuise à la solidité de la formation dispensée.
La série L, quant à elle, appelle une réflexion urgente. Les premiers constats font état de résultats catastrophiques : moins de 5 % de candidats auraient atteint la moyenne. L’épreuve s’est révélée inadaptée au profil des élèves, souvent orientés vers cette série sans appétence particulière pour les mathématiques, mais qui ne méritent pas pour autant d’être découragés d’entrée.
Il est regrettable que cette épreuve ne comporte aucune question de type 1 permettant de valoriser l’élève qui, sans être excellent, a appris avec sérieux. Cette absence d’équilibre rend l’épreuve élitiste, quand elle devrait être inclusive. À titre de comparaison, l’épreuve de la série S2 comporte bien des questions de type 1, notées sur 2 points, permettant ainsi de distinguer les efforts même modestes des candidats.
Il est impératif de repenser la répartition des points, afin qu’un problème ne pèse plus 10 points sur 20. Une telle proportion déséquilibre toute l’épreuve et pénalise les efforts continus au profit d’une réussite hasardeuse.
Une réforme du programme de la série L s’impose également. Ce dernier reste figé dans des approches trop archaïques, déconnectées des enjeux actuels. À l’ère du numérique, où les élèves ont accès en permanence à des outils technologiques, il serait plus pertinent de mettre l’accent sur les statistiques, les probabilités, les suites, voire les matrices à un niveau élémentaire, plutôt que sur des intégrales ou des fonctions logarithmes et exponentielle dont la portée pratique leur échappe souvent.
Parlant également de la méthode de repêchage, il serait plus judicieux, dans un souci de transparence et d’équité, de créer une ligne distincte dans le relevé de notes intitulée « points du jury », dans laquelle apparaîtraient clairement les points supplémentaires accordés de manière exceptionnelle. Le système actuel, qui consiste à intégrer ces points dans certaines disciplines, entretient la confusion et alimente les suspicions.
Prenons un exemple concret : un élève qui n’a accordé aucune importance aux mathématiques, qui ne les a jamais sérieusement étudiées, obtient 1/20 à l’épreuve. Il se retrouve dans une situation de repêchage, et la machine lui attribue 7 points supplémentaires, faisant ainsi grimper sa note à 8. Or, un autre candidat, régulier, respectueux de la discipline, qui a travaillé honnêtement pour obtenir 7, voit son mérite mis au même niveau que celui qui a totalement négligé la matière. Ce genre de situation, mal compris par les élèves eux-mêmes, peut faire croire que les professeurs « arrangent » les notes, alors que tel n’est nullement le cas. Une telle méprise porte atteinte à la crédibilité du processus.
Enfin, permettez-moi de souligner un point particulièrement préoccupant : l’absence totale de communication officielle concernant les éventuels changements opérés cette année. Ni les inspections académiques, ni les enseignants, ni les candidats n’ont reçu d’informations claires et formelles. Cette opacité a contribué à une désorganisation regrettable et à un sentiment d’injustice généralisé.
Le Baccalauréat 2025 ne doit pas être considéré comme un simple incident. Il doit être un révélateur, un signal d’alarme, une opportunité. À nous de transformer cette tension en point d’inflexion vers une réforme authentique, concertée, et adaptée à notre époque.
L’éducation est un bien commun, le socle même de notre avenir collectif. C’est en son nom que je vous adresse ces remarques, dans un esprit de responsabilité et d’attachement sincère à la cause de l’école sénégalaise.
Je vous remercie pour l’attention que vous voudrez bien accorder à ce message, et vous prie de recevoir, Messieurs, l’expression de ma très haute considération.
Serigne Touba Gueye
Professeur de mathématiques
Écrivain, chroniqueur.