Moody’s avance plusieurs motifs pour justifier la dégradation de la note du Sénégal : risque accru sur la dette et les liquidités, écarts budgétaires plus importants que prévu, gouvernance financière insuffisante, et lenteur dans la conclusion d’un nouveau programme avec le FMI. On peut cependant leurs opposer des arguments économiques et scientifiques solidement fondés pour relativiser, voire contester certains de ces griefs.
- Liquidités et risque de dette : un jugement trop pessimiste
Moody’s considère que les risques liés à la dette et aux liquidités se sont accrus. Toutefois, plusieurs indicateurs et mesures récentes montrent que cette crainte est largement surestimée :
* Le Sénégal a récemment emprunté à des taux négociés relativement compétitifs sur les marchés internationaux, ce qui témoigne d’une confiance persistante des investisseurs, attestant que le prix du risque n’est pas devenu prohibitivement élevé.
* Sur le plan des liquidités, le pays dispose de réserves de change suffisantes (ou en augmentation), ainsi que de facilités de refinancement internes (marchés domestiques bien développés qui offrent une flexibilité que Moody’s pourrait sous-estimer).
* En outre, les échéances de la dette sont souvent échelonnées dans le temps, réduisant le risque de défaut à court terme, ce qui atténue le risque posé par des obligations immédiates.
- Écarts budgétaires : plus petits ou maîtrisés que Moody’s ne le prétend
Moody’s met en avant des écarts budgétaires plus importants que prévu, ce qui suppose que les dépenses ont largement dépassé les estimations ou que les recettes ont fortement fléchi. Ces estimations n’intègrent pas le fait que :
* Le Sénégal a mis en œuvre des réformes fiscales ou des ajustements structurels (révision des exemptions, amélioration de l’administration fiscale, digitalisation de l’impôt, élargissement de l’assiette fiscale) qui augmentent le potentiel de recettes. Ces mesures ne produisent pas toujours un impact instantané, mais elles montrent une trajectoire d’amélioration.
* De même, certaines dépenses qui paraissent comme « imprévues » peuvent être liées à des charges d’investissement stratégiques (infrastructures, santé, éducation) qui génèrent des retours économiques à moyen/long terme, ce qui modifie la perspective budgétaire si l’on considère le coût-bénéfice plutôt que les seuls chiffres de flux.
* Plusieurs projections indépendantes (Banque centrale, ministères des finances, institutions internationales) indiquent que l’écart budgétaire pourrait se stabiliser à partir de cette année, voire se réduire grâce à la maîtrise des dépenses et aux efforts en matière de transparence, d’optimisation et de gouvernance.
- Gouvernance financière : progrès en cours et contre-exemples
Moody’s évoque des lacunes de gouvernance financière. Bien que les préoccupations soient légitimes (s’ils sont de bonne foi), il existe des éléments qui montrent que la gouvernance s’améliore considérablement :
* Transparence accrue dans les marchés publics : publication de données, appels d’offres plus stricts, volonté politique démontrée pour lutter contre la corruption.
* Renforcement du contrôle parlementaire et des audits externes : rapports d’audit, institutions de surveillance, ONG et presse jouant un rôle de contrepoids.
* Adoption de technologies numériques dans la gestion publique (budgets, suivi des dépenses, e-procurement) : cela réduit les fuites, améliore l’efficience et accroît la reddition de comptes.
Ces progrès, même s’ils ne sont pas encore parfaitement visibles, contredisent l’idée que les lacunes sont immuables ou que la gouvernance financière ne présente aucun signal positif.
- Nouveau programme avec le FMI : lenteur explicable, pas nécessairement signe de défaillance
Moody’s considère que le retard dans l’obtention d’un nouveau programme FMI est un facteur négatif. Toutefois, plusieurs points peuvent servir à le relativiser :
* La lenteur peut résulter des négociations complexes autour des conditions structurelles (notamment sur la dette cachée) : ceci est normal et ne signifie pas non plus incapacité à respecter les engagements.
* D’autre part, le Sénégal a respecté de nombreux engagements antérieurs (réformes structurelles, discipline budgétaire, etc.), ce qui renforce sa crédibilité auprès du FMI et des bailleurs.
* Enfin, un nouveau programme ne doit pas être un objectif en soi : ce qui compte, c’est la solidité des réformes internes, l’efficacité du service public et la gestion de la dette. Le Sénégal peut démontrer ses qualités même en l’absence de nouveau programme formel immédiat.
En conclusion, les préoccupations de Moody’s sont totalement dénuées de fondement. Le tableau économique pour le Sénégal n’est pas aussi sombre que la dégradation de note le suggère. Les indicateurs financiers montrent des marges de manœuvre, les réformes budgétaires et fiscales sont en cours, et la gouvernance publique s’améliore.
Du point de vue scientifique, pour qu’une notation soit robuste, il faut que l’analyste prenne en compte non seulement les risques mais aussi les dynamiques de correction, la qualité des institutions, et la trajectoire future. Ainsi, rejeter ou modérer les arguments de Moody’s n’est pas nier les défis, mais reconnaître que les progrès récents et les perspectives méritent d’être valorisés pour une évaluation plus équilibrée.
Martin F J Sambou, Économiste/Planificateur
CEPSE/MCTN