Disparu le 14 septembre 1997, Mame Abdou Aziz Sy Dabakh reste une figure incontournable de l’islam sénégalais. Guide spirituel, homme de paix et de vérité, il a marqué son époque par sa sagesse, sa générosité et son engagement pour l’unité du pays. Vingt-huit ans après sa disparition, son héritage continue d’inspirer.
Le 14 septembre, jour de recueillement et de mémoire, reste gravé dans la conscience collective du Sénégal. C’est à cette date, en 1997, que s’éteignait à l’âge de 93 ans El Hadji Abdou Aziz Sy, plus connu sous le nom de Mame Abdou Aziz Sy Dabakh, troisième khalife général des Tidianes et figure centrale de l’islam confrérie au Sénégal. Vingt-huit ans après sa disparition, sa voix, sa silhouette et ses enseignements résonnent encore avec une étonnante fraîcheur dans les esprits et les cœurs de millions de fidèles.
Fils du vénéré El Hadji Malick Sy et de Sokhna Safiétou Niang, Mame Abdou naquit en 1904 à Tivaouane, berceau de la Tidjaniyya sénégalaise. Très tôt, il s’illustra par une soif insatiable de savoir religieux.
Formé aux sciences islamiques, à la théologie asharite, au droit malikite, à la langue arabe, au soufisme et à l’exégèse coranique, il fit également ses armes auprès de Serigne Hady Touré, dont il fut le disciple. Cette formation solide, alliée à une foi inébranlable, allait faire de lui un guide éclairé.
Quarante ans de Khalifat, une trajectoire sans faute
Le 29 mars 1957, à la suite du décès quasi simultané de ses frères Seydi Ababacar Sy et El Hadj Mouhamadou Mansour Sy, il accède au khalifat de la Tijnyya. Dès lors, il devient un acteur central de la vie spirituelle, sociale et politique du Sénégal. Durant ses quarante années de khalifat, aucun faux pas, aucune parole de trop, aucun scandale : une rare constance qui valut à Mame Abdou l’admiration unanime, bien au-delà des cercles religieux.
D’un naturel discret mais ferme, Mame Abdou fut un homme de parole, de paix et d’unité. Son sobriquet « Dabakh », qui signifie « le généreux » en wolof, lui vient de son exceptionnelle bonté, de son hospitalité, mais aussi de son engagement indéfectible pour la cohésion sociale. Quand le pays vacillait sous le poids des crises politiques, sociales ou économiques, il était ce recours moral, ce médiateur providentiel, ce régulateur discret mais efficace. Il désamorçait les crises, non par la force, mais par la sagesse.
Un homme au service de tous
Mame Abdou Aziz Sy Dabakh ne connaissait pas de frontières : de Touba à Ndiassane, de Tivaouane à la cathédrale de Dakar, il était respecté, respecté, et surtout aimé. Chrétien, voix mouride, tidiane, laïc ou agnostique, tous voyaient en lui un guide, un homme de Dieu dont le sourire, la grave et la sagesse inspiraient le respect et la paix.
Il refusait l’hypocrisie, dénonçait les injustices, mais jamais avec haine ou violence. Il parlait avec franchise aux gouvernants comme à l’opposition, sans jamais rechercher la confrontation. Il savait que le véritable courage résidait dans la vérité calme, la vérité utile, la vérité humble.
À une époque où le tissu moral de la société se déchirait, Mame Abdou appelait inlassablement à la préservation des valeurs, à la quête du savoir religieux, à la modération dans les comportements, et à la solidarité avec les plus démunis.
Un intellectuel religieux à l’aura internationale
En dehors de ses fonctions de khalife, Mame Abdou fut aussi un homme de lettres et de parole. Poète, chanteur de la Bourdah et du Daroul Habibi, il anime les nuits du Mawlid avec ferveur et élégance.
Invité dans les plus grandes rencontres internationales, du Maroc aux États-Unis, en passant par la Mecque ou Paris, il fut un digne ambassadeur de l’islam sénégalais, un érudit dont la maîtrise de la langue arabe et la profondeur des discours impressionnaient les plus grandes sommités religieuses.
Son discours à la Mecque, en 1965, lors d’un congrès islamique, reste une référence dans les annales de la Tijanyya. À cette époque, il recevait également une distinction pour son engagement dans l’agriculture, un secteur qu’il encourageait à développer dans une logique d’autonomie et de dignité pour les populations.
L’absent le plus présent
Aujourd’hui encore, ses paroles circulent, portées par les enregistrements audio et vidéo qui traversent les générations. Il n’est plus, mais son ombre bienveillante plan sur le Sénégal, surtout en ces temps d’instabilité morale et politique. Lors des grandes crises ou des débats éthiques qui secouent la nation, nombreux sont ceux qui se demandent : « Que ressemble Mame Abdou ? »
Car Mame Abdou ne se contentait pas de prêcher : il incarnait son message. Il ne monnayait pas la vérité. Il se levait pour parler quand d’autres préféraient le silence. Il inspirait sans écraser, enseignait sans humilier, guidait sans forcer.
Une postérité vivante
Aujourd’hui, Mame Abdou Aziz Sy Dabakh reste une figure intemporelle du Sénégal, un repère moral, un exemple de droiture, d’humilité et de générosité. Sa vie, toute entière consacrée à Dieu et au service de son peuple, continue d’inspirer les imams, les intellectuels, les jeunes et les vieux, les politiques et les citoyens ordinaires.
Il fut le souffle d’un islam éclairé, l’incarnation du juste milieu, un pont entre la foi et la société, entre la tradition et la modernité, entre la nation et l’humanité.
Et s’il est vrai que certains êtres s’en vont sans jamais partir, alors Mame Abdou Aziz Sy Dabakh est, sans conteste, l’absent le plus présent du Sénégal.
Source rts.sn