Détournement de deniers publics et Mort du Suspect : Que Dit la Loi ? El Amath Thiam, Consultant En Droit

Lorsqu’un présumé auteur de détournement de deniers publics décède, une interrogation revient avec insistance : la mort éteint-elle définitivement les poursuites pénales ou ses héritiers peuvent-ils se retrouver poursuivis, directement ou indirectement, pour les faits reprochés au dé cujus ? Cette question, souvent alimentée par les interprétations approximatives, mérite d’être tranchée à la lumière du droit positif. Car entre ce que prévoit la Loi, ce que la procédure permet, et ce que l’opinion publique croit savoir, il existe parfois un fossé profond.

 

 I – La Mort Met Fin A L’action Publique :

Une règle d’ordre public qui s’impose au Parquet, au juge et au Tribunal.

Le Code de procédure pénale, en son article 6, est sans équivoque : « l’action publique pour l’application de la peine s’éteint par la mort du prévenu, la prescription, l’amnistie, l’abrogation de la loi pénale et la chose jugée ».

Cela signifie que :

  • Si le décès intervient avant toute condamnation définitive, le procès pénal s’arrête immédiatement.
  • Si le décès survient après la condamnation, l’exécution des peines privatives de liberté ou autres sanctions pénales devient impossible.

En d’autres termes, le défunt ne peut plus être jugé ni puni. Le droit pénal est personnel : on ne transmet pas une peine à ses héritiers.

 

 Ii – Mais L’action Civile Survit Au Défunt :

Là où la confusion est fréquente, c’est que l’action civile  qui vise à réparer le préjudice causé par l’infraction n’est pas liée au sort de l’action publique.

Le Code de procédure pénale (articles 2 à 4) et le Code de la famille sont clairs :

  • L’action civile peut être poursuivie devant les juridictions civiles même si l’action publique s’éteint.
  • Les héritiers sont saisis de plein droit des biens, droits et obligations du défunt. Cela inclut les dettes issues de ses actes, y compris celles provenant d’un détournement de fonds publics.

 

  • Si un jugement civil ou pénal a déjà condamné le défunt à des restitutions ou à des dommages-intérêts, ces sommes deviennent des dettes de la succession.
  • Si l’action civile est encore pendante au moment du décès, elle peut être reprise contre les héritiers, qui devront répondre dans la limite de l’actif successoral (s’ils acceptent sous bénéfice d’inventaire) ou sur leurs biens propres (en cas d’acceptation pure et simple).

 

 Iii – Cas Particulier Du Détournement De Deniers Publics :

Le Code de la famille prévoit une incapacité particulière : un condamné pour détournement de deniers publics ne peut disposer librement de ses biens à titre gratuit tant qu’il n’a pas remboursé les fonds et payé les dommages-intérêts dus.

Même après sa mort, cette dette pèse sur la succession : les créanciers publics comme l’Etat ou les personnes privées peuvent saisir l’actif successoral pour récupérer les fonds détournés ou dus.

 

 IV – Deux Scenarios Bon A Savoir :

  1. Décès avant condamnation définitive :

–           L’action publique s’éteint immédiatement.

–           Mais l’action civile pour récupérer l’argent ou réparer le préjudice peut continuer contre la succession.

  1. Décès après un jugement irrévocable :

–           La peine pénale devient inexécutable.

–           Les condamnations civiles subsistent et s’imputent sur l’actif successoral.

 En définitive :

La mort du suspect met fin au volet pénal, mais elle n’efface pas l’ardoise financière. L’État ou la partie lésée peut toujours poursuivre la succession pour obtenir restitution et réparation.

Autrement dit, en matière de détournement de deniers publics, la tombe ne clôt pas toujours le dossier : la justice civile peut continuer à parler, même au-delà du décès.

 

NB : La tombe clôt le procès pénal, mais pas la facture qui poursuit son chemin jusque dans l’héritage.

 

El Amath Thiam, Consultant en Droit et Président « Justice Sans Frontière »

Justice100f@gmail.com

Dieyna SENE
Up Next

Related Posts