Le fonctionnement du TAS remis en question par la justice européenne. Quel impact chez nous ? Abdoulaye Sakho/ Institut EDGE.

Le litige sur l’interdiction faite émanant de la FIFA à l’endroit du FC Seraing, de la tierce propriété des joueurs (possibilité pour des investisseurs d’acheter tout ou partie des droits économiques d’un joueur de football professionnel pour encaisser un pourcentage d’un futur transfert), a été vidé il y a une semaine (vendredi 1er aout) par la justice européenne. Sa portée est considérable et certainement, on en parlera beaucoup dans le monde du foot comme l’arrêt Bosman.

1/ Par application de la règle de l’autonomie du droit du sport, le principe en la matière est : « laver le linge sale en famille »

Le mode de règlement des litiges sportifs repose sur une procédure assez singulière. Le monde du sport a en effet réussi à se donner ses propres moyens pour régler ses litiges en interne ou, comme on dit plus communément, « laver le linge sale en famille ».

Dans la discipline sportive qu’est le football, les statuts de la FIFA imposent cette modalité à tous les membres avec à la clé l’obligation de saisir le tribunal arbitral du sport (TAS) basé en Suisse.

Le TAS est situé à Lausanne en Suisse, ce qui veut dire que pour savoir si le contentieux qui lui est soumis est arbitrable, on applique le droit suisse. Mais quasiment tous les contentieux sportifs peuvent être soumis au TAS. Le règlement du TAS prévoit principalement deux procédures. La procédure d’arbitrage ordinaire via une clause qui lui donne compétence.

La procédure d’arbitrage d’appel qui est celle que nous utilisons le plus souvent et qui intervient lorsqu’une fédération a déjà rendu une décision définitive. Dans ce cas, le TAS peut être saisi pour juger la décision de la fédération. Enfin, lorsque la sentence du TAS est rendue, il ne peut y avoir qu’un contrôle du tribunal fédéral suisse par un recours en annulation. L’annulation n’est donc possible que si la sentence viole l’ordre public suisse.

On est ainsi en face d’un système qui fonctionne presqu’en vase clos car n’offrant aucune possibilité aux droits nationaux d’intervenir dans le litige. Un système excellemment bien résumé par Sheena Belmans, avocate spécialisée en droit du sport dans un entretien avec Thomas Demazy :

« Dans le système mis en place par la FIFA, les joueurs et les clubs doivent adhérer à des règlements et à des fédérations et se soumettre aux décisions prononcées par les juridictions de la FIFA et, en appel, par le Tribunal arbitral du sport (TAS). Ces clubs et joueurs sont liés par ces décisions et ne peuvent y opposer les droits fondamentaux et les règles d’ordre public de l’UE que devant ces instances. Pas devant les tribunaux étatiques, qu’ils auraient le droit de saisir à l’égard de tout autre interlocuteur en dehors du monde sportif. Ce qui se joue donc, c’est la possibilité pour ces joueurs et ces clubs qui sont citoyens d’États membres de l’UE de faire valoir ces droits devant des tribunaux étatiques. »

2 : Mais l’exception voudrait qu’il ait  une veille systématique via le contrôle de la justice européenne du respect des droits fondamentaux (ordre public)

Le monde du sport doit aussi être un lieu d’exercice de certaines libertés fondamentales : liberté d’aller et venir, liberté d’expression et de communication, liberté de travail … Pour cette raison, le système de règlement des litiges sportifs émanant du monde du sport connait aujourd’hui des fissures provenant essentiellement de la justice européenne qui est très à cheval sur le respect des droits et libertés fondamentaux des personnes. Cela entraine la recherche permanente d’une conciliation des principes fondamentaux avec ceux qui exigent l’autonomie du droit du sport.

Après les affaires Bosman et Lassana Diarra, la justice européenne vient de rendre une décision qui permet un meilleur encadrement des sentences arbitrales rendues par le TAS et qui ajoute une limite supplémentaire à l’autonomie du droit du sport.

La Cour de Justice des Communautés Européenne (CJCE) a en effet consacré dans un arrêt rendu le 1er aout 2025, (affaire C-600/23 | Royal Football Club Seraing), le droit, notamment pour les clubs et les joueurs, d’obtenir un contrôle juridictionnel effectif des sentences arbitrales rendues par le Tribunal arbitral du sport.Cela signifie en clair, d’après le communiqué de presse de la CJCE n°104/25 sorti le même jour que :

– les juridictions nationales sont habilitées à procéder, à la demande des justiciables ou même d’office, à un contrôle juridique approfondi de la compatibilité des sentences arbitrales du Tribunal arbitral du sport (TAS) avec l’ordre public de l’Union et qu’en plus,

– toute réglementation nationale ou réglementation émanant d’une association sportive ayant pour objet d’empêcher les juridictions nationales d’exercer leurs pouvoirs, doit être obligatoirement écartées par ces mêmes juridictions nationales.

De fait, mêmes définitives, les sentences du TAS n’épuisent pas le litige car n’ayant pas l’autorité de la chose jugée sur le territoire des pays membres de l’Union européenne qui conservent toutes, une compétence en vue d’annuler les sentences du TAS pour violation de l’ordre public européen notamment les règles relatives aux droits et libertés fondamentaux..

C’est un véritable camouflet pour le système d’arbitrage du sport qui par le biais du Conseil International de l’Arbitrage en matière de Sport (CIAS) s’est fendu d’un communiqué de presse prenant acte de la décision de la CJCE tout en réaffirmant que « dans le cadre de sa mission au service de la communauté sportive internationale, le TAS continuera à fournir un système de résolution des litiges rapide et spécialisée dans le monde entier ».

Quel impact sur le règlement des litiges sportifs au Sénégal ?

Du fait du principe de la territorialité juridique, les normes européennes n’ont nullement vocation à s’appliquer chez nous. Mais, sur cette décision de la CJCE est en mesure de donner des arguments à nos juges. Nous avons en effet la même structuration juridique institutionnelle et normative que les pays européens. Nous avons également adopté dans son intégralité le système international de règlement des litiges du sport.

Concernant le football, en application des textes FIFA/CAF, les règlements généraux de la FSF disposent : « Les litiges nationaux sont traités conformément aux règlements de le FSF et au droit sénégalais. Lorsque cela est possible, ils sont tranchés par un tribunal arbitral paritaire indépendant.

Les litiges internationaux sont traités par les organes idoines de la CAF et de la FIFA et, le cas échéant, par le Tribunal Arbitral du Sport ». au plan national, l’article 59 du projet de loi sur les activités physiques et sportives consacre expressément en des termes non équivoques, le principe de « laver le linge sale en famille » : « Sous réserve des matières relevant exclusivement de la compétence d’attribution des juridictions de droit commun, les fédérations et groupements sportifs disposent de la faculté d’instaurer leurs propres procédures de règlement des différends qui naissent en leur sein et d’en faire un préalable à toute saisine des juridictions compétentes ».

La fédération elle-même a institué le principe d’une chambre arbitrale nationale. Ce qui est un énorme progrès dans l’internalisation du règlement des litiges sportifs du Sénégal.

A mon avis, rien ne s’oppose à ce que les voies de recours soient ouvertes contre les sentences TAS dans notre pays.

Dieyna SENE
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