Un nouveau rapport du Panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food) met en lumière un lien alarmant : les systèmes alimentaires mondiaux sont devenus un nouveau moteur de croissance pour les grandes compagnies pétrolières, avec des conséquences désastreuses pour le climat et la sécurité alimentaire mondiale.
Intitulé « Fuel to Fork : What will it take to get fossil fuels out of our food systems? » (Du puits à l’assiette : que faut-il faire pour éliminer les combustibles fossiles de nos systèmes alimentaires ?), le rapport révèle que 40 % des produits pétrochimiques mondiaux sont aujourd’hui consommés par le secteur alimentaire, en grande partie pour la fabrication d’engrais synthétiques et d’emballages plastiques.
Alors que d’autres secteurs s’engagent dans la transition énergétique, l’alimentation reste étrangement absente des priorités climatiques nationales et des négociations internationales. Cette omission, dénoncent les experts, représente une menace directe pour des millions de personnes.
Une dépendance toxique
Selon le rapport, 99 % des engrais azotés et des pesticides sont dérivés des combustibles fossiles, et les fertilisants chimiques constituent désormais le plus grand poste de consommation d’énergie fossile dans l’agriculture. L’alimentation industrielle repose aussi massivement sur les plastiques : les emballages alimentaires représentent au moins 10 % de la consommation mondiale de plastique, auxquels s’ajoutent 3,5 % pour l’usage agricole.
La crise énergétique mondiale et l’escalade des tensions géopolitiques, notamment le conflit entre l’Iran et Israël, pourraient amplifier la situation : la hausse des prix du pétrole entraîne mécaniquement celle des denrées alimentaires, exposant des millions de personnes à l’insécurité alimentaire, avertissent les auteurs.
Des solutions illusoires et une urgence climatique
Les soi-disant innovations portées par l’industrie, comme les engrais à base d’ammoniac « bleu » ou l’agriculture numérique, sont qualifiées de « coûteuses, énergivores et risquées pour l’environnement ». Selon Raj Patel, membre du panel, « Lier l’alimentation aux combustibles fossiles revient à lier nos assiettes aux plateformes pétrolières et aux zones de conflit. Lorsque les prix du pétrole augmentent, la faim augmente aussi ».
Pour Errol Schweizer, également expert IPES-Food, cette situation paradoxale est intenable : « Le système alimentaire industriel consomme 40 % des produits pétrochimiques – il est désormais le principal moteur de croissance des grandes compagnies pétrolières. Pourtant, il reste invisible dans le débat sur le climat. »
Un appel pour la COP30
Face à cette situation, les auteurs du rapport appellent les gouvernements à saisir l’opportunité de la COP30, prévue au Brésil, pour éliminer progressivement les subventions aux combustibles fossiles et aux produits agrochimiques, et pour investir dans des alternatives durables comme l’agroécologie, les circuits courts et les systèmes alimentaires résilients localement.
Georgina Catacora-Vargas, autre voix du panel, rappelle que des solutions existent déjà : « Des systèmes alimentaires sans combustibles fossiles sont non seulement possibles, mais ils existent déjà, comme nous l’enseignent les peuples autochtones du monde entier. » Elle appelle à restaurer la dignité de l’agriculture paysanne et à rompre avec les logiques industrielles destructrices.