An I de la Rupture: rétablir les faits, répondre aux procès ! Par Hady Traoré Consultant

À l’occasion du premier anniversaire de l’alternance politique au Sénégal, une tribune signée par Erwan Davoux, publiée dans Marianne sous le titre « Au Sénégal, la tentation autoritaire du parti-État», formule un réquisitoire contre le régime du président Bassirou Diomaye Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko.

L’auteur, ancien chargé de mission à la présidence française et directeur du site Geopolitics.fr, décrit un pouvoir guidé par un esprit de revanche, un affaiblissement des contre-pouvoirs, une instrumentalisation de la justice et un effacement diplomatique. En tant qu’expert en politiques publiques, cette réplique vise à déconstruire, point par point, une lecture simpliste et réductrice de la transformation en cours, et à replacer les faits dans leur contexte systémique. Car ce qui est présenté comme une dérive est, en réalité, le résultat d’un changement méthodique, réfléchi et attendu.

La tribune d’Erwan Davoux prétend alerter, mais elle illustre surtout un désarroi face à une dynamique que beaucoup ont du mal à nommer : la refondation de l’État sénégalais. À la différence d’un commentaire neutre ou analytique, ce texte s’inscrit dans une logique défensive d’un ancien modèle. En tant que praticien de l’évaluation publique, il importe ici de rappeler une vérité fondamentale : gouverner après une décennie de crise démocratique ne peut se faire sans rupture, sans redevabilité, sans reconstruction.

Le Sénégal ne mène pas une vendetta. Il s’emploie à bâtir un État rationnel, éthique et efficace. Les audits financiers ne sont pas des armes politiques, mais des dispositifs classiques de transparence budgétaire dans toute démocratie sérieuse. Les réformes de gouvernance engagées depuis mars 2024 s’inscrivent dans une logique d’assainissement structurel, non dans une obsession punitive. La justice n’est pas instrumentalisée : elle est réhabilitée, et pour la première fois depuis longtemps, elle agit sans consigne, sans verrou, sans double langage.

Le soi-disant “esprit de revanche” est en réalité une réponse institutionnelle à une exigence citoyenne : celle d’en finir avec les pratiques qui ont ruiné la confiance entre l’État et ses administrés. Gouverner, ce n’est pas faire diversion. C’est affronter l’héritage, en tirer les leçons, et reconstruire. C’est ce que fait ce régime, dans un contexte de contraintes majeures : fiscalité en tension, attentes sociales fortes, dette publique sous pression, et vulnérabilité externe.

Sur le plan économique, Davoux évoque un pays à l’arrêt. L’affirmation est infondée. Oui, la croissance ralentit, mais ce ralentissement est volontaire : c’est une pause stratégique, visant à arrêter une spirale de dépendance, à réorienter l’action publique vers des secteurs clés (agriculture, industrie locale, énergie, numérique), et à reconstituer des marges de manœuvre internes. L’économie sénégalaise ne s’effondre pas. Elle se réaligne. Et cela prend du temps.

Ce que certains lisent comme une crise est, pour les analystes sérieux, une phase d’ajustement post-transition. Le gouvernement a suspendu l’illusion pour faire place à la vérité des comptes, à la sincérité budgétaire, à la rationalité économique. Les mécanismes de croissance par endettement sont progressivement remplacés par des politiques d’investissement ciblées, adaptées aux capacités locales et à la demande nationale. Ce n’est pas spectaculaire, mais c’est fondamental.

Sur les libertés, là encore, l’amalgame est manifeste. Où sont les lois liberticides ? Où sont les médias fermés ? Où sont les opposants traqués ? Le Sénégal post-alternance connaît une diversité d’opinions rarement égalée, dans un espace public où les critiques fusent — souvent sans fondement, parfois avec virulence, mais toujours tolérées. Ce que le pouvoir combat, ce n’est pas la critique : c’est la désinformation. Il ne s’agit pas de domestiquer la presse, mais de garantir la fiabilité de l’information publique.

Accuser ce pouvoir de dérive autoritaire, c’est négliger les avancées institutionnelles déjà enregistrées : relance du dialogue entre pouvoirs exécutif et législatif, ouverture des chantiers de réforme de la justice, consultation de la société civile sur les grands textes à venir. La posture verticale du passé cède la place à une approche plus collégiale, plus ouverte, plus inclusive. Gouverner, aujourd’hui, ne signifie plus imposer : cela signifie arbitrer, écouter, et décider dans l’intérêt général.

Ce qui gêne, en réalité, c’est la cohérence. Ce régime ne se disperse pas. Il tient un cap. Il n’improvise pas : il exécute. Il ne séduit pas les observateurs : il sert les citoyens. L’État redevient stratège. Et cela dérange ceux qui étaient habitués à un pouvoir faible, fragmenté, prévisible.

Erwan Davoux agite le spectre d’un pouvoir qui « dicterait sa loi » au législatif et au judiciaire. Or, ce qui se joue n’a rien d’un autoritarisme rampant. Le cadre constitutionnel n’a pas été modifié. Les institutions n’ont pas été contournées. Ce qui a changé, c’est que le fonctionnement réel remplace le formalisme creux. Le temps des institutions décoratives est révolu. Désormais, elles produisent, elles arbitrent, elles tranchent. Le gouvernement ne les contrôle pas — il les active. Et c’est précisément cela qui dérange : un État qui fonctionne, dans un pays qui, trop longtemps, avait appris à composer avec l’immobilisme.

À la lumière de l’analyse des politiques publiques, il faut admettre que toute transformation systémique s’accompagne de résistances. Les réformes ne sont jamais neutres. Elles bousculent des intérêts, des habitudes, des zones de confort. Mais c’est précisément dans cette zone de turbulence que l’on mesure la sincérité du changement. Et ce changement, ici, est réel.

Les transformations en cours ne sont pas superficielles : elles sont structurelles. Réforme de la haute administration, revalorisation du service public, recentrage budgétaire sur les urgences sociales, lutte contre la capture de la commande publique, appui au secteur informel, modernisation des politiques agricoles : chaque chantier engagé vise à repositionner l’État au service des citoyens. Et c’est ce qui distingue une alternance subie d’une refondation assumée.

Le peuple sénégalais, lui, observe, jauge, critique. Mais il voit. Il voit un gouvernement qui tranche, qui avance, qui assume. Il voit un pouvoir qui ne joue pas à gouverner, mais qui gouverne. Avec sobriété, avec constance, avec une volonté claire : rendre à la République sa fonction première — être au service de l’intérêt général.

Ce que certains appellent vengeance, le peuple l’appelle justice. Ce que certains appellent populisme, le peuple l’appelle responsabilité. Ce que certains qualifient de dérive, le pays l’expérimente comme une cohérence retrouvée.

Un an après l’alternance, le Sénégal ne joue pas la rupture. Il l’applique. Il ne promet pas le changement. Il l’orchestre. Il ne multiplie pas les slogans. Il produit de la méthode. Et cette méthode, si elle dérange, c’est qu’elle fonctionne. Le pays n’a pas changé pour plaire. Il a changé pour tenir debout. Et ce Sénégal debout, il est là. Visible. Intraitable. Durable.

 

Hady Traoré

Consultant-Gestion Stratégique et Politique Publique-Canada

Saphiétou Mbengue
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